John Dryden

Portrait de John Dryden par Godfrey Kneller, 1693, coll. National Portrait Gallery
Portrait de John Dryden par Godfrey Kneller, 1693, coll. National Portrait Gallery

… plain and natural, and yet majestic…
J. Dryden


Charles Ier, marié à une catholique, fils de l’impopulaire Jacques, voulait régner en monarque absolu : il affronta les Écossais, s’opposa au Parlement et aux puritains. Est-il autre pays que l’Angleterre moins disposé à la monarchie absolue ?… le roi eût mieux fait de tempérer les audaces de son père : Cromwell fit la révolution, proclama la République et le décapita. On sait que toutes les révolutions finissent en dictature : pendant dix ans, l’Angleterre subit le joug de l’austère puritain. De son vivant, nul n’avait osé contredire cet homme terrible ; mais on poussa un vaste soupir de soulagement quand il rendit son âme à Dieu.
C’était en 1660. Les Stuarts s’empressèrent de rétablir une monarchie que tout le monde réclamait. Le soulagement était tel, à la cour et dans le pays, les mœurs se relâchèrent si bien, que l’on surnomma Charles II le Merry Monarch. Lorsqu’il mourut à son tour en 1685, son frère, Jacques II, lui succéda sur le trône. Cet homme n’était pas aimé ; pire : il était catholique. On appela au secours Guillaume d’Orange, marié à la fille du Merry Charles, Marie Stuart : et ce fut la Glorieuse Révolution, que sanctionna le Bill of Rights.
De cette époque ayant vu dans les lettres le « triomphe de presque tout ce dont le puritanisme avait été l’ennemi », où des « poètes cavaliers », qui à la Restauration revenaient de France « avec une rage de galanterie que le goût français ne tempérait point », pour composer « une poésie légère et volontiers licencieuse », André Koszul, auteur d’une superbe Anthologie de la littérature anglaise, ne retient que deux grands noms : Dryden, le réformateur, le régent du Parnasse anglais, et Locke, non moins que celui des Anglais, le guide de nos philosophes.

John Dryden, de nos jours à peu près inconnu en France (essayez donc de commander ses œuvres traduites en français), fut pourtant l’un des écrivains les plus importants d’Albion, une célébrité outre-Manche, pour Koszul « le modèle de l’Âge d’Auguste anglais », et pour Taine « le plus grand poète de l’âge classique en Angleterre ». Si vers la même époque l’œuvre de Bunyan rappelle par certains traits la doctrine calviniste, voire puritaine, Dryden de son côté représente la « veine satirique » qui « l’emporte dans cette seconde partie du XVIIè siècle » contre « l’hypocrisie et les bigots, en un mot, les Puritains » (E. Angel-Perez). Dryden, partisan de Cromwell (il était fils de clergyman puritain), dont il pleura la mort en stances héroïques, puis de Charles II (Astraea Redux), devint grâce à ses positions opportunes the first official Poet Laureate de l’Angleterre — et cependant cet opportunisme ne justifie pas à lui seul la gloire du poète : ayant trouvé de brique la prose anglaise, disait Johnson à son propos, il la laissa de marbre. Anglican avant d’être catholique, épique mais aussi satirique, Dryden se moque des politiques et des écrivains dans quelques ouvrages dont les titres ne diront pas grand-chose aux lecteurs français. Il est également l’auteur de plusieurs tragédies remarquées, parmi lesquelles All for Love (1677), sur Antoine et Cléopâtre, dont il n’existe à ma connaissance qu’une seule traduction en français — de l’abbé Prévost. Surtout, son Marriage à la Mode lance la mode, justement, des comédies de mœurs (comedy of manners) dont les Anglais raffoleront jusqu’à Oscar Wilde. Mais c’est surtout dans la satire, ce genre typiquement anglais, que Dryden excelle, comme chacun s’accorde à le relever.

Qu’il s’agisse des personnages qui s’agitent autour de la révolte anti-jacobite de Monmouth, ou des sottises de l’obscur poète Shadwell, sa verve rapide, au souffle court et prompt, manie déjà admirablement le couplet décasyllabique : moins correcte que notre alexandrin, mais plus légère et piquante, cette forme restera celle de la poésie tout épigrammatique des deux générations suivantes.
(Anthologie de la littérature anglaise, A. Koszul)

Au vrai, on ne trouvera guère dans toute l’histoire de la littérature anglaise auteur plus représentatif de sa nation. « Roi du goût et arbitre des lettres » (Taine), Dryden va s’asseoir chaque après-midi au café de Will, l’été près du balcon et l’hiver au coin de la cheminée, et discute avec les jeunes poètes, les étudiants et les amateurs de style des dernières nouveautés, Racine, Swift et Blackmore. La mort de son père, rappelle utilement A. Koszul, l’oblige très tôt à vivre de sa plume ; de ce fait, il est contraint de se rapprocher des gens de cour. Cette proximité le conduit à adopter un discours très policé ; en même temps l’instabilité politique, qui le pousse à devoir se justifier sans cesse, aiguise son sens de l’argumentation. L’on comprendra mieux dès lors la raison pour laquelle Dryden, au style épuré et dialectique, a pu passer pour un auteur à l’esthétique résolument classique.

De telles circonstances enseignent l’art d’écrire clairement et solidement, le discours méthodique et suivi, le style exact et fort, la plaisanterie et la réfutation, l’éloquence et la satire ; car ces dons sont nécessaires pour se faire écouter […]. Dès sa seconde pièce, l’abondance des idées serrées, l’énergie et la liaison oratoire, la simplicité, le sérieux, le souffle héroïque et romain annoncent un génie classique, parent non de Shakespeare, mais de Corneille, capable non de drames, mais de discours.
(Histoire de la littérature anglaise, H. Taine)

Ce n’est pas non plus pour rien que Dryden s’est longtemps consacré au drame. Après qu’il eut été interdit sous la république, on redécouvrait le théâtre, et « il venait de se rouvrir avec une magnificence et un succès extraordinaires » (s’éloignant des dispositifs du théâtre élisabéthain, et commençant à préfigurer les salles que l’on connaît aujourd’hui). Ainsi sont les anglais ; incapables de cette modération qui nous est propre et permet que notre plus grand dramaturge, Racine, soit aussi un janséniste, il faut soit qu’ils interdisent le théâtre, soit qu’ils s’y adonnent avec une grossièreté tout à fait choquante pour le goût français. All for love, que je traduis et mettrai bientôt en ligne, regorge ainsi de métaphores douteuses que l’abbé Prévost préfère censurer. Dryden, pourtant, qui voudrait réguler le drame anglais sur le modèle du drame français, reproche à Shakespeare, à Fletcher, à Ben Jonson leurs fautes de langue, leurs incohérences, leur manque de bienséance et d’unité. Il faut dire aussi que son public est moins populeux qu’au temps de Shakespeare : l’époque est à l’essor de la gentry citadine contre la pairie des campagnes.

Mais n’allons pas non plus nous imaginer un passionné du goût français. Dryden propose moins d’imiter le style de notre classicisme, que d’alléger le style de sa nation dans le sens de notre classicisme. Anglais malgré tout jusqu’au bout des ongles, il nous considère un peu trop excessifs sur le chapitre de la bienséance. « Nous qui sommes plus moroses, dit-il, nous venons au théâtre pour être divertis ; [les Français] qui sont d’un tempérament gai et léger y viennent pour se rendre plus sérieux ». Sans doute, il y a du vrai dans cette réflexion.

Je veux bien reconnaître que c’est justement dans la préciosité des manières qu’excelle la poésie française ; ses personnages font partie des gens les plus civilisés qui soient au monde ; pourtant, leur politesse n’est que de façade : tout leur esprit n’est que cérémonie. S’ils s’évertuent tant à ne point scandaliser le public, c’est parce qu’ils n’ont pas les moyens qu’ont les nôtres de lui plaire ; sans doute leur manque-t-il cette audace langagière dans laquelle réside notre génie. Hélas ! c’est un principe qui se vérifie toujours, que les personnes les plus affables sont aussi les plus assommantes ; et ainsi, tandis que les Français redoutent de nous faire rire ou pleurer, de peur que cela n’enfreigne les bienséances, — ils nous endorment. Les Français mettent tant de précautions à ne point heurter leurs juges qu’ils leur ôtent toute possibilité de critique ; ils adoucissent à ce point leurs vers, qu’à la fin il ne reste plus à rien à louer ni à blâmer ; et en effet, comment s’offusquerait-on de telle ou telle réplique, quand tous leurs drames sont si policés ? — la poésie est comme le vin : il suffit d’une gorgée pour goûter qu’elle est clairette. Les Français se targuent d’avoir élevé le raffinement à un degré supérieur, et cependant ils oublient l’essentiel. Voyez leur Hippolyte1 : sa conscience, ses scrupules l’engagent à préférer mourir plutôt que de dénoncer sa belle-mère à Thésée : et ceux-là même qui me critiquent de se lever pour l’applaudir ! — eh bien pour moi, qui suis peut-être plus grossier, j’aime à considérer que cette excessive générosité tient plutôt de la folie que de la raison. Donc, au lieu que de se défendre des calomnies de Phèdre, notre héros fait des manières, et le public s’apitoie sur son sort. Ah ! mais sortez-le de toute cette mise en scène : je vous parie qu’il retrouvera ses esprits, et changeant de cheval au milieu du gué, voudra plutôt laver son honneur et continuer de vivre, que mourir avec la réputation d’un fils incestueux ! Cet Hippolyte, il fallait le dépeindre tel qu’il figure dans les mythes : c’est un jeune sauvage issu des Amazones, adorant la chasse, philosophe et cavalier — mortel ennemi de l’Amour. Au lieu de quoi notre poète, Racine, lui a donné des airs galants, et l’extrayant d’Athènes à Paris, lui a enseigné toutes les manières de faire la cour : ce n’est plus l’Hippolyte d’Euripide ; c’est Monsieur Hippolyte.
(« Préface » d’All for love, trad. P. Rafin)

Dryden, en un mot, reproche au théâtre français de manquer de souffle et d’imagination, à force d’effets « de sourdine » (L. Spitzer). Taine, qui reconnaît la justesse de la critique, se défie aussitôt des œuvres qu’elle risque de produire ; et note même, décidément perfide, que « si on lisait [l]es préfaces [de Dryden] sans lire ses pièces, on le prendrait pour un des maîtres du drame ». Un bon théoricien fait rarement un bon écrivain ; d’ailleurs, Shakespeare est Shakespeare, Racine est Racine : les mêler, c’est faire « un bâtard, un malade et un monstre ». Il faut croire que Taine n’aura guère apprécié les critiques de Dryden sur le style français ; j’ose à peine citer l’analyse qu’il fait de son théâtre et plus généralement de celui de la Restauration, — une « pâture naturelle » à la vanité et à la sottise de son public barbare — ; elle est bien digne des critiques de Voltaire sur Shakespeare ! Avouons qu’il n’a pas toujours tort, par exemple lorsqu’il relève, après avoir cité Nourmahal (Aurengzebe) qui, repoussé quatre fois par le fils de son mari, insiste avec une indécente pédanterie, qu’à l’instant « l’illusion s’en va ; on se croyait dans un salon de nobles personnages, on y trouve une prostituée folle et un sauvage ivre ». Dryden voulait imiter Racine ; mais là où le second est digne et tendre, le premier est impertinent et sensuel : l’esprit anglais n’est décidément pas l’esprit français. Vouloir enrober Shakespeare de bienséance, c’est comme vêtir un barbare d’habits de soie.

Taine ne sera pas plus charitable avec Dryden dans l’analyse qu’il fait de sa tentative d’embrasser le vers français. On sait que la poésie anglaise n’est pas rimée, mais accentuée ; Dryden, désireux de ramener le goût français dans le théâtre anglais, propose l’invention d’un nouveau genre, l’heroic play, en vers rimés. « Tout à l’heure la grossièreté licencieuse de la Restauration perçait à travers le masque des beaux sentiments dont elle se couvrait ; maintenant la rude imagination anglaise a crevé le moule oratoire où elle tâchait de s’enfermer. » Je résume Taine : Shakespeare faisait de la fantaisie ; Dryden garde la fantaisie, mais y introduit la raison ; c’est mélanger le sucré et le salé : l’effet tombe à l’eau. Dryden, en somme, « ni assez poète, ni assez orateur, n’avait ni la fougue et l’imagination de Shakespeare, ni la politesse et l’art de Racine. » La critique est sévère. Taine reconnaît toutefois que la pièce All for love, sur Antoine et Cléopâtre, sauve la mémoire du dramaturge ; là peut-être, le poète « est allé toucher l’ancien drame, pour en rapporter le frémissement ». Il y a du sublime dans cette tragédie, quand Octavie, par exemple, vient jusqu’au palais de Cléopâtre, afin d’aller chercher Antoine à qui elle est encore mariée :

DOLABELLA
Avez-vous froid, Madame ? — vous tremblez.

OCTAVIE
J’ai assez longtemps attendu qu’on me souhaite la bienvenue ; même à une étrangère, on eût montré plus de considérations ; qui suis-je pour vous ?

ANTOINE
La sœur de César.

OCTAVIE
Quelle injustice vous me faites ! Si je n’avais été que la sœur de César, l’aurais-je quitté afin de vous retrouver ? mais voyez : cette femme à l’encontre de qui vous avez commis tant d’injures, cette femme, que vous avez bannie de votre couche et chassée de votre demeure, bien qu’elle soit la sœur de César, continue de vous appartenir. C’est vrai : j’ai dédaigné votre mépris, et n’ai point vainement recherché ce que vous étiez censé m’offrir et que vous me refusiez ; mais la vertu d’une femme ne doit point céder à son orgueil, et c’est pourquoi je suis enfin venue vous réclamer mes droits d’épouse. Je me rappellerai la première à mes devoirs en implorant votre bienveillance. Votre main, seigneur : elle est à moi et je la veux.
(All for love, trad. P. Rafin)

Mais laissons le théâtre de Dryden ; je le disais, il est de notoriété publique que c’est dans la satire qu’il excelle plutôt que dans le drame. Là, son style, « ample et clair », est « exact et simple ». Cet admirateur de Juvénal, qui n’aime guère Horace et l’Arioste, se montre capable de larges périodes, à la Corneille, dont le raisonnement épouse la forme parfaitement. De nouveau, dans ce genre particulier, il oppose à la pureté de la langue française la « vigueur virile » de la sienne ; deux mots par lesquels Dryden, observe Taine, « vient de marquer sans le savoir la mesure et la qualité de son esprit ». Esprit lourd, ajoute le positiviste, particulièrement dans la flatterie… C’est vrai qu’il n’est guère fin : ses épîtres dédicatoires, qui font vingt pages, ruissellent de compliments extravagants, à ce point que l’on se demande si tout cela n’est pas entièrement ironique.

Vos amis ne pouvaient rien faire autre chose que vous prendre en pitié, et vous ne pouviez plus compter que sur vous-même ; eh bien, c’était votre sauvegarde ! car votre travail, votre constance et votre prudence, vos qualités agissaient d’autant mieux qu’elles n’étaient point influencées de l’extérieur. Celui qui tend la main doit en effet se trouver plus haut que celui qui la reçoit ; et c’est pourquoi l’homme qui possède les plus hautes vertus ne peut se fier qu’à lui-même. N’être ainsi obligé qu’envers Dieu et votre Nature, c’est la plus noble des dettes.
[…]
Un Roi naturellement juste et modéré qui gouverne sans violer les lois, dont Dieu, pour son bonheur, a conformé l’âme avec les principes de sa Constitution, et qui contente son peuple en ne cherchant jamais à établir contre lui d’autres règles que celles qui intéressent son bien-être et sa liberté ; un Prince, dis-je, d’un tempérament si parfait, et si propre aux aspirations de tout gentilhomme, n’aurait pu mieux rassurer les craintes de ses gens, qu’en votre Noble Personne — laquelle montre avec tant d’évidence qu’elle possède des vertus identiques aux siennes, qu’elle ne semble pas tant une copie qu’une émanation de Lui. Sans doute, la mesure est nécessaire à la Grandeur ; mais il est aussi une fermeté d’esprit qu’un Ministre d’État se doit de posséder ; cette mesure et cette fermeté, il faut qu’il les partage également, afin qu’il puisse se tenir pareil à un Isthme entre les deux marées montantes de l’Arbitraire et de l’Anarchie. Entreprise ardue ! sauf pour un génie supérieur, que de rester ferme sur ses bases, et maintenir dans leurs frontières ces deux dangers ; que de payer son seul dû au Grand Représentant de la Nation, sans accroître les justes prérogatives de la Couronne, ni les affaiblir. Ces vertus, Monseigneur, proprement anglaises, sont aussi des vertus typiques de notre noblesse […].
(« Epitre dédicatoire » d’All for love, adressée à Thomas Osborne, comte de Danby, trad. P. Rafin)

Ce n’est qu’à la fin de sa vie que Taine reconnaît enfin quelques qualités à Dryden ; alors, le satiriste et dramaturge paraît s’être lassé des revirements politiques. Jacques II est tombé ? tant pis : il restera catholique, perdra son titre de Poet Laureate et la rente qui va avec, et ne dédiera point son Virgile au roi Guillaume. Cet homme libéral et généreux dans sa vie privée, à qui il est arrivé de faire publiquement de sincères repentirs lorsqu’il jugeait que ses ennemis avaient raison, Taine l’estime, en dépit de toutes ses critiques, « grand par l’esprit comme par le cœur, muni de raisonnements solides et de jugements personnels, élevé au-dessus des petits procédés de rhétorique et des arrangements de style, maître de son vers, serviteur de son idée, ayant cette abondance de pensées qui est la marque du vrai génie. » Dryden en effet, avec ses innombrables satires en vers, montre de quoi son talent est capable. Dans l’impressionnant Absalom et Achitophel, dans La Médaille, dans La Biche et la Panthère, il frappe avec une verve de révolutionnaire son ennemi le comte de Shaftesbury, loue Jacques II et Charles II, défend la monarchie et la religion catholique.

« La nation, dit-il en commençant [La Biche et la Panthère], est dans une trop grande fermentation pour que je puisse attendre guerre loyale ou même simplement quartier des lecteurs du parti contraire. » Et là-dessus, empruntant les allégories du moyen âge, il représente toutes les sectes hérétiques comme des bêtes de proie acharnées contre une biche blanche d’origine céleste ; il n’épargne ni les comparaisons brutales, ni les sarcasmes grossiers, ni les injures ouvertes.
(Histoire de la littérature anglaise, H. Taine)

Le drame avait aiguisé le style de Dryden ; les querelles violentes propres à cette époque tourmentée, mais aussi à l’histoire de l’Angleterre, affûtent sa dialectique. Un certain classicisme perce dans ses satires : il est seulement dommage qu’étant né Anglais et non pas Français, ce classicisme, il l’ait mis au service de pamphlets contextuels plutôt que de vastes théories.

Taine, en veine de compliments, ne peut achever sa biographie de Dryden sans rappeler que ce génial pamphlétaire fut aussi un grand poète :

On démêle sous ses vers réguliers une âme d’artiste ; quoique rétréci par les habitudes du raisonnement classique, quoique roidi par la controverse et la polémique, quoique impuissant à créer des âmes ou à peindre les sentiments naïfs et fins, il reste vraiment poète ; il est troublé, soulevé par les beaux sons et les belles formes ; il écrit hardiment sous la pression d’idées véhémentes ; il s’entoure volontiers d’images magnifiques ; il s’émeut au bruissement de leurs essaims, au chatoiement de leurs splendeurs ; il est au besoin musicien et peintre ; il écrit des airs de bravoure qui ébranlent tous les sens, s’ils ne descendent pas jusqu’au cœur.
(Histoire de la littérature anglaise, H. Taine)

Hippolyte Taine est un peu trop dur avec John Dryden ; une fois n’est pas coutume, il n’a peut-être pas suffisamment fait l’effort de pénétrer l’esprit anglais. Du Marriage à la mode, il déclare hardiment qu’il « ne peut rien citer » ; je l’évoquais en début d’article, c’est pourtant la pièce qui a lancé la mode des comedy of manners. Dryden est pour moi l’incarnation du génie anglais : et son histoire, comme un concentré de l’histoire des lettres anglaises.

Si vous aimez ces articles ainsi que la littérature classique, découvrez mes ouvrages publiés.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *