Pierre de Ronsard – Florilège (2)

Portrait gravé de Ronsard par Delaistre
Portrait gravé de Ronsard par Delaistre

La première partie de cet article est à retrouver juste ici.

1. Les Amours diverses

« J’ai vécu, Villeroy, si bien que nulle envie
En partant je ne porte aux plaisirs de la vie.
Je les ai tous goûtés, et me les suis permis
Autant que la raison me les rendait amis,
Sur l’échafaud mondain jouant mon personnage,
D’un habit convenable au temps et à mon âge.
J’ai vu lever le jour, j’ai vu coucher le soir,
J’ai vu grêlé, tonner, éclairer et pleuvoir,
J’ai vu peuples et Rois, et depuis vingt années
J’ai vu presque la France au bout de ses journées ;
J’ai vu guerres, débats, tantôt trêves et paix,
Tantôt accords promis, redéfaits et refaits,
Puis défaits et refaits. J’ai vu que sous la Lune
Tout n’était que hasard, et pendait de Fortune.
Pour néant la prudence est guide des humains :
L’invincible Destin lui enchaîne les mains,
La tenant prisonnière, et tout ce qu’on propose
Sagement la Fortune autrement en dispose.
Je m’en vais soul du monde, ainsi qu’un convié
S’en va soul du banquet de quelque marié,
Ou du festin d’un Roy sans renfrogner la face,
Si un autre après lui se met dedans la place.
J’ai couru mon flambeau sans me donner émoi,
Le baillant à quelqu’un s’il recourt après moi :
Il ne faut s’en fâcher, c’est la Loi de Nature,
Où s’engage en naissant chacune créature. »

« Petite Nymphe folâtre,
Nymphette que j’idolâtre,
Ma mignonne, dont les yeux
Logent mon pis et mon mieux ;
Ma doucette, ma sucrée,
Ma Grâce, ma Cythérée,
Tu me dois pour m’apaiser
Mille fois le jour baiser. »

« Le jour est de l’amour ennemi dangereux.
Soleil, tu me déplais, la nuit est trop meilleure ;
Prends pitié de mon mal, cache-toi de bonne heure :
Tu fus comme je suis autrefois amoureux. »

« Plus étroit que la vie à l’ormeau se marie
De bras souplement forts,
Du lien de tes mains, Maîtresse, je te prie,
Enlace-moi le corps. »

2. Sonnets divers

« Apprenez, mon grand Prince, à mépriser les biens.
La richesse d’un Prince est l’amitié des siens :
Le reste des grandeurs nous abuse et nous trompe.
La bonté, la vertu, la justice et les lois
Aiment mieux habiter les antres et les bois
Que l’orgueil des Palais qui n’ont rien que la pompe. »

3. Les Odes

« La fable élaborée
Décrite heureusement
D’une plume dorée
Nous trompe doucement,
A l’un donnant la gloire
Qu’il n’a pas mérité,
Faisant par le faux croire
Qu’on voit la vérité. »

« Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté. »

« Par toi je respire,
Par toi je désire
Plus que je ne puis ;
C’est toi, ma Princesse,
Qui me fais sans cesse
Fol comme je suis. »

« Amour n’a point de lois,
A sa Divinité,
Convient l’infinité. »

« Ne vois-tu pas que le jour se passe ?
Je ne vis point au lendemain.
Page, reverse dans ma tasse,
Que ce grand verre soit tout plein.
Maudit soit qui languit en vain,
Ces vieux Médecins je n’approuve :
Mon cerveau n’est jamais bien sain,
Si beaucoup de vin ne l’abreuve. »

« Ma petite colombelle,
Ma petite toute belle,
Mon petit œil, baisez-moi ;
D’une bouche toute pleine
D’amour, chassez-moi la peine
De mon amoureux émoi. »

« Je ne veux, selon la coutume,
Que d’encens ma tombe on parfume,
Ni qu’on y verse des odeurs ;
Mais tandis que je suis en vie,
J’ai de me parfumer envie,
Et de me couronner de fleurs. »

« Bons Dieux ! Qui voudrait louer
Ceux qui collés sur un livre
N’ont jamais souci de vivre ?
Que nous sert l’étudier,
Sinon de nous ennuyer ?
[…]
Corydon, marche devant,
Sache où le bon vin se vend,
Fais rafraîchir la bouteille,
Cherche une ombrageuse treille
Pour sous elle me coucher :
Ne m’achète point de chair,
Car tant soit elle friande,
L’Été je hais la viande.
Achète des abricots,
Des pompons, des artichauts,
Des fraises, et de la crème :
C’est en Été ce que j’aime,
Quand sur le bord d’un ruisseau
Je la mange au bruit de l’eau,
Étendu sur le rivage,
Ou dans un antre sauvage. »

« Le désir n’est rien que martyre.
Content ne vit le désireux,
Et l’homme mort est bienheureux :
Heureux qui plus rien ne désire ! »

« Adieu fameux rivages
De bel émail couverts,
Et vous antres sauvages
Délices de mes vers ;
Et vous, riches campagnes,
Où presque enfant je vis
Les neuf Muses compagnes
M’enseigner à l’envi. »

« Guy, nos meilleurs ans coulent
Comme les eaux qui roulent
D’un cours sempiternel ;
La mort pour sa séquelle
Nous amène avec elle
Un exil éternel. »

« Adieu ma lyre, adieu fillettes,
Jadis mes douces amourettes,
Adieu, je sens venir ma fin !
Nul passe-temps de ma jeunesse
Ne m’accompagne en la vieillesse,
Que le feu, le lit et le vin. »

« Car je vis, et c’est grand bien
De vivre, et de vivre bien,
Faire envers Dieu son office,
Faire à son prince service,
Et se contenter du sien.
Celui qui vit en ce point,
Heureux, ne convoite point
Du peuple être nommé Sire,
D’adjoindre au sien un Empire,
De trop d’avarice espoint.
Celui n’a souci quel Roi
Tyrannise sous sa loi
Ou la Perse, ou la Syrie,
Ou l’Inde, ou la Tartarie ;
Car celui vit sans émoi,
Ou bien s’il a quelque soin,
C’est de s’endormir au coin
De quelque grotte sauvage,
Ou le long d’un beau rivage
Tout seul se perdre, bien loin,
Et soit à l’aube du jour,
Ou quand la nuit fait son tour
En sa charrette endormie,
Se souvenant de s’amie,
Toujours chanter de l’amour. »

« Que j’étais heureux en ma jeune saison,
Avant qu’avoir bu l’amoureuse poison !
Bien loin de soupirs, de pleurs et de prison,
Libre je vivais. »

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