Pierre de Ronsard – Florilège (1)

Gravure de Pierre de Ronsard par François-Séraphin Delpech
Gravure de Pierre de Ronsard par François-Séraphin Delpech, lithographie

Le poète Ronsard, accroché à la corde du pendule éternel et colossal qui oscille de l’épique au lyrique, de l’Iliade aux Regrets, du cycle breton à Marie de France, se balance d’un côté, de l’autre.
Il n’est pas de ceux-ci, capitaines d’un vaisseau fendant toujours les mêmes flots, Juvénal l’océan des colères, Villon le fleuve de Mort, Baudelaire la mer noire. Il est de ceux-là qui passent souverainement d’un registre à l’autre, comme l’air de rien ; de ces génies supérieurs, qui donnent parfois leur nom à leur siècle : Virgile, artisan des Bucoliques et de l’Énéide ; Voltaire, dix-huitième à lui tout seul, auteur de la Henriade et de Zaïre ; Hugo, empereur du dix-neuvième, compositeur des Contemplations et de La Légende des siècles.

Par la force du talent, par la grandeur de l’effort, par l’éclat du succès, Ronsard est le maître de la poésie du ⅩⅥᵉ siècle. Il y fut adoré à peu près comme V. Hugo en notre siècle. Ce fut une gloire européenne : Élisabeth, Marie Stuart, le Tasse, souverains et poètes l’encensaient ; l’Angleterre, l’Italie, l’Allemagne, jusqu’à la Pologne enviaient à la France le rival d’Homère et de Virgile.
(G. Lanson, Histoire de la littérature française)

Ronsard, poétique figure du glorieux seizième, père des Amours et de La Franciade, passe avec une facilité déconcertante des hauts faits aux sentiments amoureux, des grandes batailles à la complainte, – en somme, du « nous » au « moi ».

Horacien, pétrarquiste, léger, épique, il changera avec opportunité de manière et de style chaque fois que le tarissement de sa verve poétique ou les variations de la faveur publique nécessiteront qu’il modifie son procédé d’expression. Âme fière, il aura la grandeur requise pour traiter les plus hauts sujets et les thèmes les plus sublimes, qu’il introduit en poésie. Par-dessus tout il se fait, et ses amis avec lui, une opinion transcendante de la mission du poète, prêtre d’une nouvelle religion, homme élu et sacré.
(Dictionnaire des auteurs français, par le Trésor des lettres françaises, 1965, librairie Jules Tallandier)

Poète épique sachant manier l’ode héroïque, le chef de file de la Pléiade le fut sans doute ; toutefois, ce n’est pas dans La Franciade que son talent devait s’exprimer le mieux. « Son génie est tout lyrique », tient à préciser Lanson : et en effet, c’est sur ce registre particulier qu’il composa les plus beaux poèmes de la littérature française ; et trouva ces vers admirables que toute la France, cinq cents ans plus tard, connaît encore par cœur : « Mignonne, allons voir si la rose… » : « Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle… » ; « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie… »

Cet article est un florilège des plus belles trouvailles de Ronsard ; le choix fut terrible : car il y a, chez l’ami de Du Bellay, « de quoi composer un volume où rien de médiocre n’entrerait » (Lanson).
Rien de médiocre dans les vers qui suivent, donc : n’en déplaise à Malherbe qui, par un jugement critique si dur qu’il en devenait suspect, rayait ses exemplaires de l’éternel déçu d’Amour d’un bout à l’autre… pour que l’on ne pût dire après sa mort « qu’il avait trouvé bon tout ce qu’il n’avait pas rayé » !
Le génie avait-il reconnu le génie ?… son jugement fut-il honnête, ou craignait-il seulement – peut-être inconsciemment ! – de devoir partager sa place avec un autre, dans l’espace étroit de la postérité ?…

1. Amours de Cassandre

« Et je voudrais que cette nuit encore
Fut éternelle, et que jamais l’Aurore
Pour m’éveiller ne rallumât le jour. »

« Tes deux yeux bruns, deux flambeaux de ma vie
Dessus les miens répandant leur clarté,
Ont esclavé ma jeune liberté,
Pour la damner en prison asservie. »

« Avec le temps le temps même se change. »

« Ô corps parfait, de tes beautés la moindre
Mérite seule un siège d’Ilion. »

« Si je trépasse entre tes bras, Madame,
Je suis content : aussi ne veux-je avoir
Plus grand honneur au monde, que me voir,
En te baisant, dans ton sein rendre l’âme.
Celui dont Mars la poitrine renflamme,
Aille à la guerre, et d’ans et de pouvoir
Tout furieux, s’ébatte à recevoir
En sa poitrine une Espagnole lame.
Moi plus couard, je ne requiers sinon,
Après cent ans sans gloire et sans renom,
Mourir oisif en ton giron, Cassandre.
Car je me trompe, ou c’est plus de bonheur
D’ainsi mourir, que d’avoir tout l’honneur,
Et vivre peu, d’un monarque Alexandre. »

« Et quand sans jour le monde deviendrait,
Ton œil si beau serait le jour du monde. »

« L’astre ascendant sous qui je pris naissance,
De son regard ne maîtrisait les Cieux :
Quand je naquis il était dans tes yeux,
Futurs tyrans de mon obéissance. »

« Car tant son âme à la mienne est unie,
Que ses destins seront suivis des miens. »

2. Amours de Marie

« Marie, qui voudrait votre nom retourner,
Il trouverait aimer : aimez-moi donc, Marie. »

« Et toutefois le temps, qui les prés de leurs herbes
Dépouille d’an en an, et les champs de leurs gerbes,
Ne m’a point dépouillé le souvenir du jour
Ni du mois où je mis en tes yeux mon amour. »

« Et n’espère jamais de vouloir entreprendre
D’échauffer un glaçon qui te doit mettre en cendre. »

« Bien fol est qui se fie en sa belle jeunesse,
Qui si tôt se dérobe, et si tôt nous délaisse. »

« Que maudit soit le jour que la flèche cruelle
M’engrava dans le cœur votre face si belle,
Vos cheveux, votre front, vos yeux et votre port,
Qui servent à ma vie et de phare et d’étoile !
Je devais mourir lors sans plus craindre la mort,
Le dépit m’eut servi pour me conduire au port,
Mes pleurs servis de fleuve, et mes soupirs de voile. »

« Le ciel pour vous servir seulement m’a fait naître. »

« Quand d’un baiser d’amour votre bouche me baise,
Je suis tout éperdu, tant le cœur me bat d’aise. »

« C’est abus que Pluton ait aimé Proserpine ;
Si doux soin n’entre point en si dure poitrine :
Amour règne en la terre et non point en enfer. »

« J’avais écrite au plus haut de la face,
Avec l’honneur, une agréable audace
Pleine d’un franc désir.
Avec le pied marchait ma fantaisie
Où je voulais, sans peur ni jalousie,
Seigneur de mon plaisir. »

« Quand ce beau Printemps je vois,
J’aperçois
Rajeunir la terre et l’onde,
Et me semble que le jour,
Et l’amour,
Comme enfants naissent au monde. »

« Ô ma belle Angevine, ô ma douce Marie,
Mon œil, mon cœur, mon sang, mon esprit et ma vie,
Dont la vertu me montre un droit chemin aux cieux,
Je reçois tel plaisir quand je baise vos yeux,
Quand je languis dessus, et quand je les regarde,
Que sans une frayeur qui la main me retarde,
Je me serais occis, qu’impuissant je ne puis
Vous montrer par effet combien vôtre je suis.
[…]
Si j’étais un grand Roi, pour éternel exemple
De fidèle amitié, je bâtirais un temple
Dessus le bord de Loire, et ce temple aurait nom
Le temple de Ronsard et de sa Marion.
[…]
Ce temple fréquenté de fêtes solennelles
Passerait en honneur celui des Immortelles,
Et par vœux nous serions invoqués tous les jours,
Comme les nouveaux Dieux des fidèles amours. »

« Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses. »

« Ha ! Mort, en quel état maintenant tu me changes !
Pour enrichir le Ciel tu m’as seul appauvri,
Me dérobant les yeux desquels j’étais nourri,
Qui nourrissent là-haut les astres et les anges.
Entre pleurs et soupirs, entre pensées étranges,
Entre le désespoir tout confus et marri,
Du monde et de moi-même et d’Amour je me ris,
N’ayant autre plaisir qu’à chanter tes louanges.
Hélas ! tu n’es pas morte, hé ! c’est moi qui le suis.
L’homme est bien trépassé, qui ne vit que d’ennuis,
Et des maux qui me font une éternelle guerre.
Le partage est mal fait : tu possèdes les cieux,
Et je n’ai, malheureux, pour ma part que la terre,
Les soupirs en la bouche, et les larmes aux yeux. »

« Ma flamme est un sépulcre, et mon cœur une cendre,
Et par la Mort je suis de la Mort amoureux. »

« Maintenant tu es vive, et je suis mort d’ennui.
Malheureux qui se fie en l’attente d’autrui !
Trois amis m’ont déçus : toi, l’Amour, et le monde. »

3. Sonnets et madrigals pour Astrée

« Pour retenir un amant en servage,
Il faut aimer et non dissimuler,
De même flamme amoureuse brûler,
Et que le cœur soit pareil au langage. »

4. Sonnets pour Hélène

« Ô belle Cruauté, des beautés la première,
Qu’est-ce parler d’amour sans point faire l’amour,
Sinon voir le Soleil sans aimer sa lumière ? »

« Je fuis les pas frayés du méchant populaire,
Et les villes où sont les peuples amassés.
Les rochers, les forêts déjà savent assez
Quelle trempe a ma vie étrange et solitaire. »

« Puisque rien ici bas de ta vertu n’est digne,
Que te puis-je donner sinon que le Soleil ? »

« Vous aurez en mes vers un immortel renom :
Pour n’avoir rien de vous, la récompense est grande. »

« Les beautés en un jour s’en vont comme les roses. »

« La Raison contre Amour ne peut chose qui vaille :
Il faut contre un grand Prince opposer un grand Roi. »

« Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle. »
Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre, et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. »

« Si tu fusses venue au temps que la Vertu
S’honorait des humains, tes vertus eussent eu
Vœux, encens et autels, sacrifices et temple. »

« C’est acte de pitié d’honorer un cercueil,
Mépriser les vivants est un signe d’orgueil.
Puisque ton naturel les fantômes embrasse,
Et que rien n’est de toi, s’il n’est mort, estimé,
Sans languir tant de fois, éconduit de ta grâce,
Je veux du tout mourir pour être mieux aimé. »

 

Lecture conseillée :

  • Ronsard, Pierre (de), Œuvres complètes, Paris, éd. Gallimard, coll. Pléiade, 1938

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