Molière – Une comédie en cinq actes

Portrait de Molière par Nicolas Mignard
Nicolas Mignard (1606-1668). Molière (1622-1673) dans le rôle de César de la "Mort de Pompée", tragédie de Corneille. Paris, musée Carnavalet.

Molière a peint la nature et la passion, qui ne sont ni simples ni invraisemblables, mais compliquées et vraies. Il se moquait des règles et des genres et l’émotion, chez lui, se mêle sans cesse au rire. Il est probablement le plus grand poète comique de tous les temps, sans excepter Plaute, le Latin, ni Aristophane, le Grec. Sa puissance dramatique et comique s’exprimait dans une langue libre et hardie, à la fois classique et populaire, puisée aux sources de son siècle et du siècle précédent. La vivacité et le mouvement, le charme aussi, et la vie, lui appartiennent en propre.
(Une autre histoire de la littérature française, I, J. d’Ormesson)

Quel éloge ! Et pourtant, Jean-Baptiste Poquelin de Molière, ainsi qu’il signait ses pièces, est un homme mystérieux sur bien des points ; alors qu’il est peut-être l’auteur le plus connu de la langue française – au point que l’on parle de la langue de Molière comme on parle de la langue de Shakespeare –, sa vie est obscurcie de nombreux points noirs tout à la fois saugrenus et déroutants. Ainsi, ce dramaturge de génie, qui excelle dans la comédie comme Mozart dans la musique, est aussi capable de ruiner sa carrière par de mauvaises tragédies, au point de finir emprisonné pour dettes ; et en même temps de participer, pour le compte du jeune Racine encore méconnu, à l’écriture de la sublime Thébaïde.

Allez donc, j’y consens, allez perdre la vie ;
À ce cruel combat tous deux je vous convie ;
Puisque tous mes efforts ne sauraient vous changer,
Que tardez-vous ? allez vous perdre et me venger.
Surpassez, s’il se peut, les crimes de vos pères :
Montrez, en vous tuant, comme vous êtes frères :
Le plus grand des forfaits vous a donné le jour,
Il faut qu’un crime égal vous l’arrache à son tour.
Je ne condamne plus la fureur qui vous presse ;
Je n’ai plus pour mon sang ni pitié ni tendresse :
Votre exemple m’apprend à ne le plus chérir ;
Et moi je vais, cruels, vous apprendre à mourir.

Cet acteur qui fait vibrer les plus belles scènes du Grand Siècle, qui joue devant les plus grands personnages du Royaume de France à son apogée, naît et meurt pourtant dans des circonstances aujourd’hui encore nimbées de vague – et quelles circonstances : mourir sur scène en jouant un malade ! Ce fils de tapissier remarquable dans la comédie, un peu austère dans sa vie privée, est accusé de l’inceste le plus abominable, sans qu’il soit encore aujourd’hui aisé de démêler le vrai du faux de cette sordide affaire. Nous pourrions encore longtemps énumérer les zones d’ombre et les contradictions qui émaillent la vie de l’illustre comédien : à l’image des personnages archétypaux qui donnent corps et vie à ses pièces, Molière est l’archétype même du Théâtre – c’est-à-dire que le masque, le déguisement et la scène cachent un réel qui ne se découvre que dans la coulisse.
La vie de Molière, si bien esquissée dans Le Roi danse de Corbiau, mais que personne mieux que Boulgakov n’a su faire revivre – Le Roman de Monsieur de Molière –, est une comédie en cinq actes, qui voit, entre les débuts difficiles et la tragique mort sur scène, le triomphe absolu d’un immense écrivain. Molière est le Louis XIV du théâtre : de même que le Roi-Soleil s’est fait l’incarnation d’un pouvoir absolu, de même, la domination du dramaturge sur les planches fut sans égal et sans partage.

Acte I : Les débuts difficiles

Ce n’est pas sans mal, pourtant, que Molière est devenu ce qu’il est devenu. Fils du tapissier et valet de chambre du roi Jean Poquelin, il est né à Paris en janvier 1622. Boulgakov, dans Le Roman de Monsieur de Molière, raconte avec amour – et humour – la naissance du prodige :

Une accoucheuse qui avait appris son art à la maternité de l’Hôtel-Dieu de Paris sous la direction de la fameuse Louise Bourgeois délivra le 13 janvier 1622 la très aimable madame Poquelin, née Cressé, d’un premier enfant, un prématuré de sexe masculin.
Je peux dire sans crainte de me tromper que si j’avais pu expliquer à l’honorable sage-femme qui était celui qu’elle mettait au monde, elle eût pu d’émotion causer quelque dommage au nourrisson, et du même coup à la France.
Et voilà : j’ai une veste aux poches immenses et à la main une plume non d’acier, mais d’oie.
Devant moi se consument des bougies de cire, et mon cerveau est enflammé.
– Madame, dis-je, faites attention au bébé, n’oubliez pas qu’il est né avant terme. La mort de ce bébé serait une très grande perte pour votre pays !
– Mon Dieu ! Madame Poquelin en fera un autre !
– Madame Poquelin n’en fera jamais plus un semblable, et aucune dame n’en fera de semblable avant un certain nombre de siècles.
– Vous m’étonnez, monsieur !
– Je suis moi-même étonné. Comprenez bien que dans trois siècles, dans un pays lointain, je ne me souviendrai de vous que parce que vous aurez tenu dans vos mains le fils de monsieur Poquelin.
– J’ai tenu dans mes mains des enfants plus illustres.
– Qu’entendez-vous par le mot « illustre » ? Ce bébé deviendra plus célèbre que votre roi régnant Louis XIII, plus renommé que le roi suivant, et ce roi, madame, sera appelé Louis le Grand ou le Roi-Soleil !
(Le Roman de Monsieur de Molière, M. Boulgakov)

En 1643, Jean-Baptiste Poquelin, après des études au collège de Clermont, « où il rencontre de grands seigneurs comme le prince de Conti et suit, en compagnie de Cyrano de Bergerac et de quelques autres, les cours de Gassendi, l’adversaire de Descartes » (J. d’Ormesson) se lance dans le théâtre. Il fonde avec les Béjart la troupe dite de l’Illustre-Théâtre, et rencontre Madeleine Béjart, sa première maîtresse.
Deux ans plus tard, en 1645, celui qui se fait désormais appeler Molière – pour d’obscures raisons – prend la direction de la troupe. Hélas, le grand homme est encore en apprentissage ; et l’apprentissage de la vie est le plus dur qui soit. Après une succession de mauvaises tragédies, la troupe fait faillite, ne peut plus payer ses dettes… et Molière, pendant un court moment, est jeté en prison.
Entre 1645 et 1648, la troupe de comédiens, exclue de la capitale, déambule en province – principalement dans le Sud-Ouest.

Molière part alors pour une longue tournée de douze ans en province, dans le Midi de la France. Il réunit une troupe brillante avec Madeleine Béjart et Marquise du Parc – Marquise n’est pas un titre, mais un surnom devenu prénom –, dont Corneille, déjà âgé, –  il a cinquante-deux ans –, puis Racine vont devenir amoureux. Il a des protections : le duc d’Épernon et le prince de Conti, son condisciple au collège de Clermont.
(Une autre histoire de la littérature française, I, J. d’Ormesson)

Cette longue pérégrination renforce la compagnie : c’est gonflée à bloc qu’elle revient à Paris.
En octobre 1658, la « Troupe de Monsieur » (ainsi appelée car protégée par le frère de Louis XIV) plaît au roi, honneur suprême, et se voit accordée la salle du Petit-Bourbon. Molière est aux anges.

Les fiers et solennels héros de la tragédie de Corneille cédèrent la scène à Gorgibus, Gros-René, Sganarelle et aux autres personnages de la farce. Dès que fit irruption sur les planches un médecin amoureux en qui il était bien difficile de reconnaître le Nicomède de l’instant précédent, les sourires fleurirent dans la salle. À la première réplique, ce furent des rires. Et quelques instants plus tard, les rires s’étaient transformés en grondements. Et l’on vit le jeune homme superbe se renverser contre le dossier de son fauteuil et essuyer, sanglotant, les larmes de ses yeux. Et soudain, à son propre étonnement, Philippe d’Orléans se mit à glapir de rire. […] Un frisson délicieux courut sur la nuque du grand acteur comique. Il pensa : « Victoire ! » et se donna tout entier. Et les mousquetaires qui montaient la garde devant les portes, et qui ne devaient en aucun cas se départir de leur impassibilité, se mirent à leur tour à hoqueter de rire. […]
Le rideau se baissa, remonta, se baissa à nouveau. Il remonta et se baissa encore et encore. Molière se tenait près de la rampe, saluait, et la sueur de son front dégoulinait sur les planches.
– D’où vient-il ? Qui est-il ?… Et tous les autres ? Et ce gros Du Parc ?… Et la servante ?… Où ont-ils appris ?… Ils sont plus forts que les Italiens, messieurs ! Les grimaces de ce Molière, Votre Majesté…
– Je vous l’avais bien dit, Votre Majesté…
Philippe d’Orléans avait pris une voix pleine d’assurance, mais Louis ne l’écoutait pas. Il s’essuyait les yeux de son mouchoir, comme pleurant la perte d’un proche.
(Le Roman de Monsieur de Molière, M. Boulgakov)

Acte II : Les premiers succès

Molière a tout pour que son talent fleurisse et s’épanouisse : des fautes de jeunesse qu’il saura ne plus recommencer, une maîtresse, une troupe de comédiens, la protection du roi, une scène (celle du Palais-Royal), et même une petite rente. Il n’a plus qu’à se lancer.

Sa grande carrière commence. Elle ne s’appuie pas seulement sur le roi et les princes. Elle s’appuie sur le public et sur une bande d’amis qui ne sont pas négligeables : La Fontaine, plus âgé que Molière de quelques mois, Boileau, le plus sérieux, mais peut-être moins qu’on ne le croit, et Racine, le plus jeune, le plus ambitieux et le moins sympathique.
(Une autre histoire de la littérature française, I, J. d’Ormesson)

En 1659, Les Précieuses ridicules, qui se moquent avec tant d’audace des travers langagiers de son siècle, sont représentées devant un public hilare. C’est un succès extraordinaire. La pièce fait un tel triomphe que Molière se permet de la publier – c’est la première fois qu’il édite ainsi l’une de ses comédies.

MAGDELON
Mon père, voilà ma cousine qui vous dira, aussi bien que moi, que le mariage ne doit jamais arriver qu’après les autres aventures. Il faut qu’un amant, pour être agréable, sache débiter les beaux sentiments, pousser le doux, le tendre et le passionné, et que sa recherche soit dans les formes. Premièrement, il doit voir au temple, ou à la promenade, ou dans quelque cérémonie publique, la personne dont il devient amoureux ; ou bien être conduit fatalement chez elle par un parent ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache un temps sa passion à l’objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites, où l’on ne manque jamais de mettre sur le tapis une question galante qui exerce les esprits de l’assemblée. Le jour de la déclaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis que la compagnie s’est un peu éloignée ; et cette déclaration est suivie d’un prompt courroux, qui paraît à notre rougeur, et qui, pour un temps, bannit l’amant de notre présence. Ensuite il trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au discours de sa passion, et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine. Après cela viennent les aventures, les rivaux qui se jettent à la traverse d’une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies conçues sur de fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui s’ensuit. Voilà comme les choses se traitent dans les belles manières et ce sont des règles dont, en bonne galanterie, on ne saurait se dispenser. Mais en venir de but en blanc à l’union conjugale, ne faire l’amour qu’en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le roman par la queue ; encore un coup, mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé ; et j’ai mal au cœur de la seule vision que cela me fait.
GORGIBUS
Quel diable de jargon entends-je ici ? Voici bien du haut style.
(Les Précieuses ridicules, Molière)

Un succès ne venant jamais seul, Molière réitère l’exploit l’année suivante avec Sganarelle ou le Cocu imaginaire. Même schéma : succès, publication.
Plus rien ne semble devoir arrêter le dramaturge. Et si, en 1661, la comédie Dom Garcie de Navarre est un tel échec qu’elle livre le dramaturge à la torture du doute, ce dernier peut se consoler, le 23 janvier 1662, par son mariage avec Armande Béjart, la fille de Madeleine – de vingt ans sa cadette, et dont les mauvaises langues diront qu’elle est sa propre fille.
Mais en même temps qu’il triomphe, Molière doit constamment lutter contre « les prudes et les dévots » :

Conduits par l’archevêque Péréfixe et le président Lamoignon, les prudes et les dévots, qui combattent les libertins et qui sont puissants à la cour et au Parlement, lui font une guerre de tous les jours, l’accusant d’inceste avec Armande et lui promettant l’excommunication et le bûcher. La vie de Molière est, inextricablement, un triomphe continu et une lutte permanente […].
(Une autre histoire de la littérature française, I, J. d’Ormesson)

Acte III : Les scandales

Malgré l’échec de sa dernière comédie, Molière reprend courage et trouve de nouveau l’inspiration. Lui qui ne peut s’empêcher, dans la veine de l’esprit classique – que l’on pense à La Rochefoucauld – de railler les hypocrisies, les masques et les faux-semblants, va toujours plus loin dans la critique de la société de son temps. En 1662, il fait représenter Les Fâcheux et L’École des maris, puis L’École des femmes.

ARNOLPHE
Épouser une sotte est pour n’être point sot.
Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort sage ;
Mais une femme habile est un mauvais présage ;
Et je sais ce qu’il coûte à de certaines gens
Pour avoir pris les leurs avec trop de talents.
Moi, j’irais me charger d’une spirituelle
Qui ne parlerait rien que cercle et que ruelle ;
Qui de prose et de vers ferait de doux écrits,
Et que visiteraient marquis et beaux esprits,
Tandis que, sous le nom du mari de Madame,
Je serais comme un saint que pas un ne réclame ?
Non, non, je ne veux point d’un esprit qui soit haut ;
Et femme qui compose en sait plus qu’il ne faut.
Je prétends que la mienne en clartés peu sublime,
Même ne sache pas ce que c’est qu’une rime ;
Et s’il faut qu’avec elle on joue au corbillon
Et qu’on vienne à lui dire à son tour : Qu’y met-on ?
Je veux qu’elle réponde, Une tarte à la crème ;
En un mot, qu’elle soit d’une ignorance extrême :
Et c’est assez pour elle, à vous en bien parler,
De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre et filer.
CHRYSALDE
Une femme stupide est donc votre marotte ?
ARNOLPHE
Tant que j’aimerais mieux une laide bien sotte
Qu’une femme fort belle avec beaucoup d’esprit.
(L’École des femmes, Molière)

Cette dernière pièce, aussi osée sur le plan moral qu’elle est novatrice d’un point de vue purement esthétique, provoque une vive polémique. Mais en France, la polémique est bien souvent le tremplin du succès ; et L’École des femmes n’échappe pas à la règle : les recettes sont énormes.

Autour de 1660, il est à l’origine d’une véritable révolution théâtrale. Cette révolution consiste à hisser la comédie, qui était un genre mineur et assez méprisé, à la dignité de la tragédie, à remplacer l’imagination par la peinture de la réalité et à faire de la vérité le ressort du théâtre.
[…]
Fondée sur la vérité, cette nouvelle comédie remplace l’intrigue par le portrait. Elle renonce à ce qui faisait jusque-là l’essentiel du théâtre, le merveilleux, l’invraisemblable, l’imagination la plus débridée, au profit de quelque chose de tout à fait nouveau : le naturel. […] Ce qu’inaugure Molière, c’est le réalisme classique.
[…] Pour faire vivre ces personnages, qui nous paraissent si évidents mais qui étaient, en leur temps, d’une révolutionnaire nouveauté, Molière a des recettes. Il élimine les traits secondaires, il exagère les traits dominants et significatifs. L’avare n’est qu’un avare, le misanthrope n’est qu’un misanthrope. On a pu parler d’une « hyperbole des caractères ». Les portraits sont grossis, mais ils ne sont pas simplifiés. Ils sont même souvent complexes. Et pour mieux peindre les caractères, Molière peint aussi les milieux : une famille, un salon, une maison. Il les peint comme ils sont et pour amuser le public.
(Une autre histoire de la littérature française, I, J. d’Ormesson)

Deux ans plus tard, en 1664, Molière tente une première fois de représenter sa pièce maîtresse : Le Tartuffe. Cette fois-ci, il est allé trop loin : les esprits ne sont pas encore tout à fait prêts. La provocation est si violente que Molière lui-même, le spécialiste de la satire, doit renoncer à la jouer.

ORGON
Ah ! si vous aviez vu comme j’en fis rencontre,
Vous auriez pris pour lui l’amitié que je montre.
Chaque jour à l’église il venait, d’un air doux,
Tout vis-à-vis de moi se mettre à deux genoux.
Il attirait les yeux de l’assemblée entière
Par l’ardeur dont au ciel il poussait sa prière ;
Il faisait des soupirs, de grands élancements,
Et baisait humblement la terre à tous moments :
Et, lorsque je sortais, il me devançait vite
Pour m’aller, à la porte, offrir de l’eau bénite.
Instruit par son garçon, qui dans tout l’imitait,
Et de son indigence, et de ce qu’il était,
Je lui faisais des dons ; mais, avec modestie,
Il me voulait toujours en rendre une partie.
C’est trop, me disait-il, c’est trop de la moitié.
Je ne mérite pas de vous faire pitié.
Et, quand je refusais de le vouloir reprendre,
Aux pauvres, à mes yeux, il allait le répandre.
Enfin le ciel chez moi me le fit retirer,
Et depuis ce temps-là tout semble y prospérer.
Je vois qu’il reprend tout, et qu’à ma femme même
Il prend, pour mon honneur, un intérêt extrême ;
Il m’avertit des gens qui lui font les yeux doux,
Et plus que moi six fois il s’en montre jaloux.
Mais vous ne croiriez point jusqu’où monte son zèle :
Il s’impute à péché la moindre bagatelle ;
Un rien presque suffit pour le scandaliser,
Jusque-là qu’il se vint l’autre jour accuser
D’avoir pris une puce en faisant sa prière,
Et de l’avoir tuée avec trop de colère.
[…]
TARTUFFE
Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme :
Et, lorsqu’on vient à voir vos célestes appas,
Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas.
Je sais qu’un tel discours de moi paraît étrange :
Mais, madame, après tout, je ne suis pas un ange ;
Et, si vous condamnez l’aveu que je vous fais,
Vous devez vous en prendre à vos charmants attraits.
Dès que j’en vis briller la splendeur plus qu’humaine,
De mon intérieur vous fûtes souveraine ;
De vos regards divins l’ineffable douceur
Força la résistance où s’obstinait mon cœur ;
Elle surmonta tout, jeûnes, prières, larmes,
Et tourna tous mes vœux du côté de vos charmes.
Mes yeux et mes soupirs vous l’ont dit mille fois ;
Et pour mieux m’expliquer j’emploie ici la voix.
Que si vous contemplez d’une âme un peu bénigne,
Les tribulations de votre esclave indigne ;
S’il faut que vos bontés veuillent me consoler,
Et jusqu’à mon néant daignent se ravaler,
J’aurai toujours pour vous, ô suave merveille,
Une dévotion à nulle autre pareille.
Votre honneur avec moi ne court point de hasard,
Et n’a nulle disgrâce à craindre de ma part.
Tous ces galants de cour, dont les femmes sont folles,
Sont bruyants dans leurs faits et vains dans leurs paroles ;
De leurs progrès sans cesse on les voit se targuer ;
Ils n’ont point de faveurs qu’ils n’aillent divulguer ;
Et leur langue indiscrète, en qui l’on se confie,
Déshonore l’autel où leur cœur sacrifie.
Mais les gens comme nous brûlent d’un feu discret,
Avec qui, pour toujours, on est sûr du secret.
Le soin que nous prenons de notre renommée
Répond de toute chose à la personne aimée ;
Et c’est en nous qu’on trouve, acceptant notre cœur,
De l’amour sans scandale, et du plaisir sans peur.
(Le Tartuffe, Molière)

Jamais deux sans trois : encore un an plus tard, en 1665, Molière présente le baroque Dom Juan à son public. Là encore le scandale est retentissant. Racine lui-même, encore jeune auteur, doit se désolidariser de son maître : il donne La Thébaïde, pourtant écrite en partie par Molière, à la troupe rivale de l’hôtel de Bourgogne. Cette fois-ci, la crise est consommée. Molière doit se faire petit et attendre la fin du scandale…

SGANARELLE
Quoi ! vous ne croyez rien du tout, et vous voulez cependant vous ériger en homme de bien ?
DON JUAN
Et pourquoi non ? il y en a tant d’autres comme moi, qui se mêlent de ce métier, et qui se servent du même masque, pour abuser le monde !
SGANARELLE
Ah ! quel homme ! quel homme !
DON JUAN
Il n’y a plus de honte maintenant à cela ; l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer. Aujourd’hui, la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée ; et, quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un vice privilégié qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les attire tous sur les bras ; et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés, ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres ; ils donnent bonnement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j’en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se font un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues, et les connaître pour ce qu’ils sont, ils ne laissent pas pour cela d’être en crédit parmi les gens ; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d’yeux, rajustent dans le monde tout ce qu’ils peuvent faire. C’est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j’aurai soin de me cacher, et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin, c’est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m’érigerai en censeur des actions d’autrui, jugerai mal de tout le monde, et n’aurai bonne opinion que de moi. Dès qu’une fois on m’aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais, et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts du ciel ; et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d’impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle.
(Dom Juan, Molière)

Acte IV : Le retour en grâce et le triomphe

Les années 1666 à 1669 correspondent à l’apogée de la carrière de Molière. Le dramaturge enchaîne les succès : Le Misanthrope (l’une de ses plus belles pièces, pour le style et le propos) –

PHILINTE
Lorsqu’un homme vous vient embrasser avec joie,
Il faut bien le payer de la même monnaie,
Répondre, comme on peut, à ses empressements,
Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.
ALCESTE
Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu’affectent la plupart de vos gens à la mode ;
Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations,
Ces affables donneurs d’embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d’inutiles paroles,
Qui de civilités avec tous font combat,
Et traitent du même air l’honnête homme et le fat.
Quel avantage a-t-on qu’un homme vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et vous fasse de vous un éloge éclatant,
Lorsque au premier faquin il court en faire autant ?
Non, non, il n’est point d’âme un peu bien située
Qui veuille d’une estime ainsi prostituée ;
Et la plus glorieuse a des régals peu chers
Dès qu’on voit qu’on nous mêle avec tout l’univers :
Sur quelque préférence une estime se fonde,
Et c’est n’estimer rien qu’estimer tout le monde.
Puisque vous y donnez dans ces vices du temps,
Morbleu ! vous n’êtes pas pour être de mes gens ;
Je refuse d’un cœur la vaste complaisance
Qui ne fait de mérite aucune différence ;
Je veux qu’on me distingue ; et, pour le trancher net,
L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait.
PHILINTE
Mais quand on est du monde, il faut bien que l’on rende
Quelques dehors civils que l’usage demande.
ALCESTE
Non, vous dis-je ; on devrait châtier sans pitié
Ce commerce honteux de semblants d’amitié.
Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontre
Le fond de notre cœur dans nos discours se montre,
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments.
(Le Tartuffe, Molière)

– mais aussi Amphitryon, George Dandin, L’Avare.

Scène VII
HARPAGON, seul, criant au voleur dès le jardin, et venant sans chapeau
Au voleur ! au voleur ! à l’assassin ! au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ; on m’a coupé la gorge : on m’a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu ? Où est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ? Où ne pas courir ? N’est-il point là ? n’est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête. (À lui-même, se prenant par le bras.) Rends-moi mon argent, coquin… Ah ! c’est moi ! Mon esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas ! mon pauvre argent ! mon pauvre argent ! mon cher ami ! on m’a privé de toi ; et puisque tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie : tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faire au monde. Sans toi, il m’est impossible de vivre. C’en est fait ; je n’en puis plus ; je me meurs ; je suis mort ; je suis enterré. N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m’apprenant qui l’a pris. Euh ! que dites-vous ? Ce n’est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu’avec beaucoup de soin on ait épié l’heure ; et l’on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la question à toute ma maison ; à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Hé ! de quoi est-ce qu’on parle là ? de celui qui m’a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut ? Est-ce mon voleur qui y est ? De grâce, si l’on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l’on m’en dise. N’est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu’ils ont part, sans doute, au vol que l’on m’a fait. Allons, vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences, et des bourreaux ! Je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.
(L’Avare, Molière)

Même Le Tartuffe, sa pièce la plus corrosive, est enfin autorisée en 1669 et aussitôt publiée. Les années qui suivent voient encore la parution, entre autres, du Bourgeois gentilhomme accompagné de la musique de Lully, ainsi que la représentation des Fourberies de Scapin.

MONSIEUR JOURDAIN
Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la prose, sans que j’en susse rien ; et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet : Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ; mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante, que cela fût tourné gentiment.
LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour les violences d’un…
MONSIEUR JOURDAIN
Non, non, non, je ne veux point tout cela. Je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour.
LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Il faut bien étendre un peu la chose.
MONSIEUR JOURDAIN
Non, vous dis-je. Je ne veux que ces seules paroles-là dans le billet, mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre.
LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
On les peut mettre premièrement comme vous avez dit : Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Ou bien : D’amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos yeux beaux d’amour me font belle marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle marquise, d’amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle marquise, d’amour.
MONSIEUR JOURDAIN
Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ?
LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Celle que vous avez dite : Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour.
(Le Bourgeois gentilhomme, Molière)

Acte V : Mourir sur scène !

Hélas, à la cour de Louis XIV le succès ne dure jamais et mène souvent à la disgrâce. Celle-ci survient en 1672. Le Roi-Soleil se lasse des comédies : il confie au musicien Lully le monopole sur toutes les pièces comportant de la musique. C’est un coup dur pour Molière ; mais cela ne l’empêche pas de produire encore deux immenses chefs-d’œuvre : Les Femmes savantes

TRISSOTIN
J’ai cru jusques ici que c’était l’ignorance
Qui faisait les grands sots, et non pas la science.
CLITANDRE
Vous avez cru fort mal, et je vous suis garant
Qu’un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant.
TRISSOTIN
Le sentiment commun est contre vos maximes,
Puisque « ignorant » et « sot » sont termes synonymes.
CLITANDRE
Si vous le voulez prendre aux usages du mot,
L’alliance est plus forte entre pédant et sot.
TRISSOTIN
La sottise, dans l’un, se fait voir toute pure.
CLITANDRE
Et l’étude, dans l’autre, ajoute à la nature.
TRISSOTIN
Le savoir garde en soi son mérite éminent.
CLITANDRE
Le savoir, dans un fat, devient impertinent.
TRISSOTIN
Il faut que l’ignorance ait pour vous de grands charmes,
Puisque pour elle ainsi vous prenez tant les armes.
CLITANDRE
Si pour moi l’ignorance a des charmes bien grands,
C’est depuis qu’à mes yeux s’offrent certains savants.
TRISSOTIN
Ces certains savants-là peuvent, à les connaître
Valoir certaines gens que nous voyons paraître.
CLITANDRE
Oui, si l’on s’en rapporte à ces certains savants ;
Mais on n’en convient pas chez ces certaines gens.
(Les Femmes savantes, Molière)

– et Le Malade imaginaire. Il faut imaginer Molière, dont la puissance comique en tant qu’acteur est rapportée par différents témoins, jouer ceci :

ARGAN, assis, une table devant lui, comptant des jetons les parties de son apothicaire
Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt ; trois et deux font cinq. « Plus, du vingt-quatrième, un petit clystère insinuatif, préparatif et rémollient, pour amollir, humecter et rafraîchir les entrailles de monsieur. » Ce qui me plaît de monsieur Fleurant, mon apothicaire, c’est que ses parties sont toujours fort civiles. « Les entrailles de monsieur, trente sols. » Oui ; mais, monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil ; il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un lavement ! Je suis votre serviteur, je vous l’ai déjà dit ; vous ne me les avez mis dans les autres parties qu’à vingt sols ; et vingt sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ; les voilà, dix sols. « Plus, dudit jour, un bon clystère détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l’ordonnance, pour balayer, laver et nettoyer le bas-ventre de monsieur, trente sols. » Avec votre permission, dix sols. « Plus, dudit jour, le soir, un julep hépatique, soporatif et somnifère, composé pour faire dormir monsieur, trente-cinq sols. » Je ne me plains pas de celui-là ; car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize, et dix-sept sols six deniers. « Plus, du vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse récente avec séné levantin, et autres, suivant l’ordonnance de monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de monsieur, quatre livres. » Ah ! monsieur Fleurant, c’est se moquer : il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaît. Vingt et trente sols. « Plus, dudit jour, une potion anodine et astringente, pour faire reposer monsieur, trente sols. » Bon, dix et quinze sols. « Plus, du vingt-sixième, un clystère carminatif, pour chasser les vents de monsieur, trente sols. » Dix sols, monsieur Fleurant. « Plus, le clystère de monsieur, réitéré le soir, comme dessus, trente sols. » Monsieur Fleurant, dix sols. « Plus, du vingt-septième, une bonne médecine, composée pour hâter d’aller et chasser dehors les mauvaises humeurs de monsieur, trois livres. » Bon, vingt et trente sols ; je suis bien aise que vous soyez raisonnable. « Plus, du vingt-huitième, une prise de petit lait clarifié et dulcoré pour adoucir, lénifier, tempérer et rafraîchir le sang de monsieur, vingt sols. » Bon, dix sols. « Plus, une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de bézoar, sirop de limon et grenades, et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres. » Ah ! monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaît ; si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade : contentez-vous de quatre francs, vingt et quarante sols. Trois et deux font cinq et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres quatre sols six deniers. Si bien donc que, de ce mois, j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements ; et, l’autre mois, il y avoit douze médecines et vingt lavements. Je ne m’étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que l’autre. Je le dirai à monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre à cela. Allons, qu’on m’ôte tout ceci. (Voyant que personne ne vient, et qu’il n’y a aucun de ses gens dans sa chambre.) Il n’y a personne. J’ai beau dire : on me laisse toujours seul ; il n’y a pas moyen de les arrêter ici. (Après avoir sonné une sonnette qui est sur la table.) Ils n’entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin. Point d’affaire. Drelin, drelin, drelin. Ils sont sourds… Toinette. Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne sonnois point. Chienne ! coquine ! Drelin, drelin, drelin. J’enrage. (Il ne sonne plus, mais il crie.) Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables ! Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade tout seul ? Drelin drelin, drelin. Voilà qui est pitoyable ! Drelin, drelin, drelin ! Ah ! mon Dieu ! Ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin.
(Le Malade imaginaire, Molière)

Le 17 février 1673, Molière s’effondre après une ultime représentation du Malade imaginaire. La vie est une tragédie : elle finit immanquablement par la mort de ses personnages. Ce 17 février, quand le rideau retombe sur la scène, c’en est fini du comédien.
En 1680, la Comédie-Française est créée par la fusion de la troupe de l’hôtel de Bourgogne et de celle du théâtre Guénégaud, formée des restes de la troupe de Poquelin.

Les plus grands artistes, ceux qui restent dans l’histoire, constituent presque toujours une synthèse de leurs époques. Dans leurs œuvres sont résumés à la fois les mœurs, les habitudes, les travers, les mentalités, les modes, les croyances, les rituels, les défauts, les anomalies, les faiblesses, les forces et les morales de leurs siècles. Molière est un grand artiste parce qu’il résume à lui seul tout l’esprit classique : la rigidité formelle – il est un grand lettré qui sait écrire des vers parfaits – certes associée à la pompe royale – Molière est un artiste de cour –, mais aussi le dosage savant entre la flatterie et la dénonciation des hypocrisies, et cette liberté à la française si précieuse – qui perdurera jusqu’en 1789 – de dévoiler les envers des décors de la bigoterie à la charlatanerie, en passant par la préciosité spécieuse et la courtisanerie flagorneuse.

 

Lectures conseillées :

  • Les Précieuses ridicules, Molière
  • L’École des femmes, Molière
  • Le Tartuffe, Molière
  • Dom Juan, Molière
  • Le Misanthrope, Molière
  • L’Avare, Molière
  • Le Bourgeois gentilhomme, Molière
  • Les Femmes savantes, Molière
  • Le Roman de Monsieur de Molière, M. Boulgakov
  • Une autre histoire de la littérature française, J. d’Ormesson

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