Bossuet – « Pour prêcher la vérité, il faut un cœur de roi »

Portrait de Jacques-Benigne Bossuet par Hyacinthe Rigaud, 1698.
Portrait de Jacques-Benigne Bossuet, huile sur toile de Hyacinthe Rigaud, 1698

Paul Valéry écrivait en 1926 : « Dans l’ordre des écrivains, je ne vois personne au-dessus de Bossuet. » Et il ajoutait quelques lignes plus loin, lapidaire : « Bossuet dit ce qu’il veut. » Dire ce que l’on pense était sans doute une gageure à la cour de Louis XIV. Le défi, immense, ne pouvait être accepté que par « l’aigle de Meaux », augustinien de corps et d’âme et qui fut probablement l’un des plus grands orateurs de tous les temps.

Exorde

Jacques-Bénigne Bossuet naît en 1627 à Dijon d’une grande famille de magistrats – son père est avocat au parlement. Destiné à la carrière ecclésiastique dès son plus jeune âge, il est tonsuré à huit ans puis envoyé chez les jésuites. À treize ans il devient chanoine à Metz. À quinze ans la lecture de la Bible est pour lui une véritable révélation. Sa carrière est lancée. Elle le conduira à Paris devant la reine Anne d’Autriche (premier point), puis devant le roi Louis XIV (deuxième point), enfin jusqu’au pape Innocent XII (troisième point).

Premier point

Jusqu’au milieu du siècle Bossuet est occupé à gravir les échelons de la carrière religieuse. Il commence véritablement celle-ci à Paris, au collège de Navarre, où il étudie activement – et avec passion – la philosophie et la théologie. Durant son adolescence il fait déjà montre de ses talents de prêcheur ; on le voit mis à l’épreuve dès 1643 – à seulement seize ans – à l’Hôtel de Rambouillet, foyer de la préciosité.

Un certain marquis de Feuquières l’introduit à l’hôtel de Rambouillet où, adolescent de seize ou dix-huit ans, on l’invite, après le souper, à prononcer un sermon. « Je n’ai jamais vu prêcher, dit Voiture, ni si tôt ni si tard. »
(Une autre histoire de la littérature française, I, J. d’Ormesson)

Les années passent et Bossuet soutient sa thèse à la Sorbonne accompagné du prince de Condé puis revient en Bourgogne. On date de cette période – 1648 – l’un de ses premiers écrits réflexifs, la Méditation sur la brièveté de la vie.
En 1649, il est ordonné diacre à Metz.
Les choses s’accélèrent à partir des années 1650. En 1652, après une retraite à Saint-Lazare, il est ordonnée prêtre à Paris puis reçu docteur en théologie. Il est alors nommé grand archidiacre du chapitre de Metz. Les années 1655 et 1656 marquent pour Bossuet un début de renommée due à la publication d’écrits qui révèlent sa grande intelligence et son style emporté, presque baroque, qui sait toucher les cœurs sensibles. En 1655, Bossuet prononce l’oraison funèbre de Yolande de Monterby ; il démontre une nouvelle fois son talent d’orateur :

Désabusons-nous, Chrétiens, des vaines et téméraires préoccupations dont notre raison est tout obscurcie par l’illusion de nos sens ; apprenons à juger des choses par les véritables principes ; nous avouerons franchement, à l’exemple de cette abbesse, que nous devons dorénavant mesurer la vie par les actions, non par les années. C’est ce que vous comprendrez sans difficulté par ce raisonnement invincible.
Nous pouvons regarder le temps de deux manières différentes : nous le pouvons considérer premièrement en tant qu’il se mesure en lui-même par heures, par jours, par mois, par années, et dans cette considération je soutiens que le temps n’est rien, parce qu’il n’a ni forme ni substance ; que tout son être n’est que de couler, c’est-à-dire que tout son être n’est que de périr, et partant que tout son être n’est rien.
(Oraisons funèbres, Bossuet, 1689.)

Dans la Réfutation du catéchisme du ministre protestant Paul Ferry, le jeune ecclésiastique détaille ce qui sera sa ligne de conduite idéologique : lutter contre la division de l’Église, et donc contre toutes les formes d’hérésie (protestants, juifs, jansénistes). Il profite de l’oraison funèbre consacrée au Père Bourgoing pour fulminer contre les dissidents :

Par conséquent, chrétiens, quiconque aime l’Église doit aimer l’unité ; et quiconque aime l’unité doit avoir une adhérence immuable à tout l’ordre épiscopal, dans lequel et par lequel le mystère de l’unité se consomme, pour détruire le mystère d’iniquité, qui est l’œuvre de rébellion et de schisme. […] Deux choses sont nécessaires à la sainte Église, la pureté de la foi et l’ordre de la discipline. La foi est toujours sans tache, la discipline souvent chancelante. D’où vient cette différence, si ce n’est que la foi est le fondement, lequel étant renversé, tout l’édifice tomberait par terre ? Or il a plu à notre Sauveur, qui a établi son Église comme un édifice sacré, de permettre que, pour exercer le zèle de ses ministres, il y eût toujours, à la vérité, quelques réfections à faire dans le corps du bâtiment ; mais que le fondement fût si ferme que jamais il ne pût être ébranlé, parce que les hommes peuvent bien, en quelque sorte, contribuer par sa grâce à faire les réparations de l’édifice, mais qu’ils ne pourraient jamais le redresser de nouveau, s’il était entièrement abattu.
(Oraisons funèbres, Bossuet, 1689.)

Et dans l’oraison consacrée à Henriette de France, il envoie une charge sévère contre le roi Henri VIII, fondateur de l’anglicanisme.

Quand Dieu laisse sortir du puits de l’abîme la fumée qui obscurcit le soleil, selon l’expression de l’Apocalypse, c’est-à-dire l’erreur et l’hérésie, quand, pour punir les scandales, ou pour réveiller les peuples et les pasteurs, il permet à l’esprit de séduction de tromper les âmes hautaines, et de répandre partout un chagrin superbe, une indocile curiosité, et un esprit de révolte, il détermine, dans sa sagesse profonde, les limites qu’il veut donner aux malheureux progrès de l’erreur et aux souffrances de son Église. Je n’entreprends pas, Chrétiens, de vous dire la destinée des hérésies de ces derniers siècles, ni de marquer le terme fatal dans lequel Dieu a résolu de borner leur cours. Mais, si mon jugement ne me trompe pas, si, rappelant la mémoire des siècles passés, j’en fais un juste rapport à l’état présent, j’ose croire, et je vois les sages concourir à ce sentiment, que les jours d’aveuglement sont écoulés, et qu’il est temps désormais que la lumière revienne. Lorsque le roi Henri VIII, prince en tout le reste accompli, s’égara dans les passions qui ont perdu Salomon et tant d’autres rois, et commença d’ébranler l’autorité de l’Église, les sages lui dénoncèrent qu’en remuant ce seul point il mettait tout en péril, et qu’il donnait contre son dessein une licence effrénée aux âges suivants. Les sages le prévirent ; mais les sages sont-ils crus en ces temps d’emportement, et ne se rit-on pas de leurs prophéties ? Ce qu’une judicieuse prévoyance n’a pu mettre dans l’esprit des hommes, une maîtresse plus impérieuse, je veux dire l’expérience, les a forcés de le croire.
(Oraisons funèbres, Bossuet, 1689.)

Chez Bossuet, très influencé par la pensée de saint Augustin – il ne cesse de le citer dans ses sermons –, la liberté individuelle est fortement limitée par la prescience divine et par la nécessité de ne pas s’égarer hors de Dieu et donc dans le péché. Cette pensée, qui vaut pour les individus, vaut aussi nécessairement pour les hérésies.

Éveille-toi, pauvre esclave, et reconnais enfin cette vérité, que, si c’est une grande puissance de pouvoir exécuter ses desseins, la grande et la véritable, c’est de régner sur ses volontés. […] Nous sommes des enfants qui avons besoin d’un tuteur sévère, la difficulté ou la crainte. Si on lève ces empêchements, nos inclinations corrompues commencent à se remuer et à se produire, et oppriment notre liberté sous le joug de leur licence effrénée.
(Sermons, Bossuet, 1772 – posthume.)

La renommée grandissante de Bossuet lui vaut l’honneur de prêcher devant la reine Anne d’Autriche en 1657. Un tel homme ne peut rester en province dans cette France où tout se joue à Paris. Bossuet est rapatrié dans la capitale ; il s’y installe en 1659 et prononce son fameux Sermon sur l’éminente dignité des pauvres dans l’Église. Il ne lui est pas tout de suite accordé de prêcher devant le jeune roi. Jusqu’en 1661 il prêche en ville et notamment au couvent de la Place royale et au grand Carmel du faubourg Saint-Jacques. Enfin, en 1662, la curiosité du roi est piquée. Bossuet est solennellement convié à prononcer devant lui une série de sermons à l’occasion du Carême du Louvre.

Deuxième point

La pratique du sermon, qui n’existe plus aujourd’hui, est à l’époque une véritable institution. Il ne s’agit pas de simples discours de messe, tels qu’on les connaît aujourd’hui. Les sermons ressemblent plutôt à des conférences d’une heure faites par d’illustres prêcheurs et frôlant parfois le grand spectacle – les places se réservent des jours à l’avance.
Bossuet, en 1662, a donc non seulement la renommée d’un grand théologien mais encore celle d’un orateur envoûtant et captivant. Cette renommée n’est cependant pas suffisante pour lui assurer une confiance pleine et entière. Il sait en effet que prêcher devant le roi, en pleine affaire Fouquet et alors que le jeune monarque s’affiche publiquement avec sa maîtresse Louise de La Vallière, engage à la fois sa place et son honneur. Mais de l’honneur, Bossuet en a. Bien décidé à dire ce qu’il veut, il s’élance dans l’arène.
La cour et le roi ne seront pas épargnés au cours de ces sermons prononcés du 2 février au 7 avril 1662. Le roi, choqué, refusera même d’assister à certains d’entre eux. Bossuet, en effet, n’évite ni les allusions ni les attaques directes.

C’est vouloir en quelque sorte déserter la cour que de combattre l’ambition, qui est l’âme de ceux qui la suivent ; et il pourrait même sembler que c’est ravaler la majesté des princes que de décrier les présents de la fortune, dont ils sont les dispensateurs.
(Sermons, Bossuet, 1772 – posthume.)

Pourtant ces écrits montrent aussi la grande habileté de l’orateur, qui a su ménager le mieux possible l’amour-propre du roi et des courtisans pour faire passer, sans trop de vexations, ses messages qui, fidèles à la parole biblique, ne vont pas dans le sens de la grandeur et de l’ambition.

Qu’est-ce que la vie de la cour ? Dissimuler tout ce qui déplaît et souffrir tout ce qui offense, pour agréer à qui nous voulons. Qu’est-ce encore que la vie de la cour ? Étudier sans cesse la volonté d’autrui, et renoncer, s’il est nécessaire, à nos plus chères inclinations. Que ne le fait pas, ne sait point la cour : qui ne se façonne point à cette souplesse, est un esprit rude et maladroit, qui n’est propre ni pour la fortune ni pour le grand monde. Chrétiens, après cette expérience, Saint Paul vous va proposer de la part de Dieu une condition bien équitable : comme vous vous êtes rendus les esclaves de l’iniquité et des désirs séculiers, en la même sorte rendez-vous esclaves de la sainteté et de la justice.
(Sermons, Bossuet, 1772 – posthume.)

Bossuet a passé l’épreuve. Son « Carême du Louvre » est une œuvre magistrale ; elle montre comment il faut s’y prendre pour reprocher frontalement à un roi absolu ses adultères et son injustice. Dans les années qui suivent, Bossuet poursuit tranquillement sa carrière (grand doyen du chapitre de Metz, évêque de Condom) tout en se spécialisant dans la pratique de l’oraison funèbre : le Père Bourgoing, Nicolas Cornet, Anne d’Autriche, Henriette de France, et bien sûr Henriette d’Angleterre, où Bossuet déploie toute l’étendue de son art oratoire.

Il est ainsi, Chrétiens : tout ce qui se mesure finit ; et tout ce qui est né pour finir n’est pas tout à fait sorti du néant où il est si tôt replongé. […] Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte ! Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup comme si quelque tragique accident avait désolé sa famille ? Au premier bruit d’un mal si étrange, on accourut à Saint-Cloud de toutes parts ; on trouve tout consterné, excepté le cœur de cette princesse. Partout on entend des cris ; partout on voit la douleur et le désespoir, et l’image de la mort. Le Roi, la Reine, Monsieur, toute la Cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré ; et il me semble que je vois l’accomplissement de cette parole du prophète : Le roi pleurera, le prince sera désolé, et les mains tomberont au peuple de douleur et d’étonnement. Mais et les princes, et les peuples gémissaient en vain. en vain Monsieur, en vain le Roi même tenait Madame serrée par de si étroits embrassements. Alors ils pouvaient dire l’un et l’autre, avec saint Ambroise : « Stringebam bracchia, sed jam amiseram quam tenebam : Je serrais les bras, mais déjà j’avais perdu ce que je tenais ». La princesse leur échappait parmi des embrassements si tendres, et la mort plus puissante nous l’enlevait entre ces royales mains. Quoi donc ! elle devait périr si tôt ! Dans la plupart des hommes les changements se font peu à peu, et la mort les prépare ordinairement à son dernier coup. Madame cependant a passé du matin au soir, ainsi que l’herbe des champs. Le matin, elle fleurissait ; avec quelles grâces, vous le savez : le soir, nous la vîmes séchée ; et ces fortes expressions par lesquelles l’Écriture sainte exagère l’inconstance des choses humaines, devaient être pour cette princesse si précises et si littérales !
(Oraisons funèbres, Bossuet, 1689.)

En 1670, revenu en grâce auprès du roi, Bossuet devient précepteur du Dauphin (âgé de neuf ans). L’année suivante, il est reçu à l’Académie française et en profite pour publier une Exposition de la doctrine de l’Église catholique sur les matières de controverse. Pendant qu’il cumule les honneurs, il cumule les richesses ; il obtient les bénéfices de prieurés et d’abbayes qui lui permettent de faire l’acquisition d’une demeure à Versailles.
Le Bossuet de 1671 avait-il encore en mémoire ses prêches du Carême de 1662 ?

C’est une fausse imagination des âmes simples et ignorantes, qui n’ont pas expérimenté la fortune, que la possession des biens de la terre rend l’âme plus libre et plus dégagée. Par exemple, on se persuade que l’avarice serait tout à fait éteinte, que l’on n’aurait plus d’attache aux richesses, si l’on en avait ce qu’il faut : Ha ! C’est alors, disons-nous, que le cœur, qui se resserre dans l’inquiétude du besoin, reprendra sa liberté tout entière dans la commodité et dans l’aisance. Confessions la vérité devant Dieu : tous les jours, nous nous flattons de cette pensée. Certes, c’est une folie de s’imaginer que les richesses guérissent l’avarice, ni que cette eau puisse étancher cette soif.
(Sermons, Bossuet, 1772 – posthume.)

En matière de vertu, on est toujours plus efficace pour les autres que pour soi. Pendant qu’il cumule les fonctions, honneurs et richesses, Bossuet prend de plus en plus d’influence auprès du monarque. Il obtient en 1674 le départ de La Vallière et son entrée au couvent.

Le pécheur superbe et indocile ne peut souffrir cet état de honte, et il s’efforce d’en sortir. Pour cela, il cache son crime, ou il excuse son crime, ou il soutient hardiment son crime. Il le cache comme un hypocrite ; il l’excuse comme un orgueilleux ; il le soutient comme un effronté. C’est ainsi qu’il sort de son état, et qu’il usurpe impudemment à la face du ciel et de la terre les privilèges de l’innocence.
(Sermons, Bossuet, 1772 – posthume.)

La même année – 1674 –, il fait la rencontre de Fénelon au petit Concile, où se trouve également La Bruyère. En 1675, tandis qu’il publie son Abrégé de l’histoire de France à destination du Dauphin il obtient, après celui de La Vallière, le renvoi temporaire de la Montespan. Bossuet est alors à son apogée, les écrits s’enchaînent. Entre 1677 et 1681, il produit le Traité du libre arbitre, la Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte (qui ne seront publiés qu’après sa mort) et les premiers livres du Discours sur l’histoire universelle. Nommé à l’évêché de Meaux, il publie encore le Sermon sur l’unité de l’Église.

Qu’est-ce que l’esprit du christianisme ? Esprit de fraternité, esprit de tendresse et de compassion, qui nous fait sentir les maux de nos frères, entrer dans leurs intérêt, souffrir de tous leurs besoins. Au contraire, l’esprit du monde, c’est-à-dire l’esprit de grandeur, c’est un excès d’amour-propre, qui, bien loin de penser aux autres, s’imagine qu’il n’y a que lui.
(Sermons, Bossuet, 1772 – posthume.)

De 1683 à 1695 sa production est encore plus vertigineuse : outre les oraisons funèbres (Marie-Thérèse d’Autriche, Anne de Gonzague, Michel Le Tellier, le prince de Condé), il publie le Catéchisme de Meaux (1687), l’Histoire des variations des Églises protestantes (1688), l’Apocalypse avec une explication (1689), la Lettre sur les psaumes (1690), la Défense de la Tradition et des saints Pères (1692), les Maximes et réflexions sur la comédie et le Traité de la Concupiscence (1694), et enfin les Méditations sur l’Évangile, les Élévations sur les mystères et la Tradition des nouveaux mystiques (1695).

Troisième point

La fin du siècle coïncide pour Bossuet avec la fin de sa gloire. L’année 1697 voit le basculement de l’unanimité qui s’était faite autour du prêcheur. Après avoir été nommé conseiller d’État, Bossuet lit avec stupeur les Maximes des saints de Fénelon, son ami de toujours. Ce livre est une déclaration de guerre ; sous couvert de prendre ses distances avec la doctrine du pur amour, Fénelon défend en réalité la pratique du quiétisme… Au-delà des querelles purement théologiques qui paraissent aujourd’hui dérisoires, il faut comprendre que le quiétisme entraîne une forme de séparation avec l’Église traditionnelle. Or, nous avons vu que toute la philosophie de Bossuet vise à condamner les mouvements qui cherchent à faire sécession.
Jusqu’en 1699, l’évêque de Meaux lutte avec acharnement contre l’archevêque de Cambrai – Fénelon. Il rallie à lui presque tout Paris : Racine, Nicole, Boileau, Leibniz, et même le roi. Le pape Innocent XII finit par intervenir pour condamner l’ouvrage de Fénelon. Bossuet a gagné.

Chaque âge a sa passion dominante : le plaisir cède à l’ambition, et l’ambition cède à l’avarice. Une jeunesse emportée ne songe qu’à la volupté ; l’esprit étant mûri tout à fait, on veut pousser sa fortune, et on s’abandonne à l’ambition ; enfin, dans le déclin et sur le retour, la force commence à manquer pour avancer ses desseins ; on s’applique à conserver ce qu’on a acquis, à le faire profiter, à bâtir dessus, et on tombe insensiblement dans le piège de l’avarice.
(Sermons, Bossuet, 1772 – posthume.)

1702. Bossuet a soixante-quinze ans. Il prononce son dernier sermon dans la cathédrale de Meaux. L’historien Jean Meyer estime à trois mille le nombre total de sermons prononcés, et à neuf cent mille le nombre de personnes qui l’ont entendu prêcher au moins une fois.

La mort est toujours présente chez Bossuet, et il l’oppose avec vigueur à « cette recrue continuelle du genre humain » qu’est l’enfance, appelée elle aussi à se faire tuer par l’âge, par l’accident, par la maladie et la mort. Parce qu’il est un orateur chrétien, il ne cesse de crier aux hommes qu’il ne faut pas aimer le monde et qu’il faut aimer Dieu. « Eh bien, mon âme, est-ce donc si grande chose que cette vie ? Et si cette vie est peu de chose, parce qu’elle passe, qu’est-ce que les plaisirs, qui ne tiennent pas toute la vie, et qui passent en un moment ? » Toute son œuvre se confond avec ce défi qu’il lance inlassablement à ceux qui l’écoutent, aux grands, aux princes, au roi lui-même : « C’est une entreprise hardie que d’aller dire aux hommes qu’ils sont peu de chose. »
(Une autre histoire de la littérature française, I, J. d’Ormesson)

Péroraison

Au début de l’année 1704 Bossuet trouve encore la force d’écrire une Explication de la prophétie d’Isaïe sur l’enfantement de la Vierge. Il est atteint de calculs et souffre énormément mais refuse de se faire opérer.

Voilà un désordre étrange, un extrême dérèglement, que nous courions au péché, que nous pouvons fuir si nous le voulons, et que nous travaillions avec tant de soin d’échapper des mains de la mort, dont les coups sont inévitables.
(Sermons, Bossuet, 1772 – posthume.)

Il s’éteint le 12 avril, âgé de soixante dix-sept ans – sans doute n’a t-il jamais vraiment craint la mort qu’il avait tant travaillée à rendre naturelle et qu’il semblait toujours défier dans ses sermons.

C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés, et en mille formes diverses. On n’entend dans les funérailles que des paroles d’étonnement de ce que ce mortel est mort.
(Sermons, Bossuet, 1772 – posthume.)

 

Lectures conseillées :

  • Sermons – Le Carême du Louvre, Bossuet, éd. Gallimard, coll. Folio Classique (2001)
  • Oraisons funèbres, Bossuet, éd. Gallimard, coll. Folio Classique (2004)

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