La littérature du Premier Empire

Portrait de Napoléon roi d'Italie, huile sur toile d'Andrea Appiani, 1805, collection Kunsthistorisches Museum
Portrait de Napoléon roi d'Italie, huile sur toile d'Andrea Appiani, 1805, collection Kunsthistorisches Museum

Le Premier Empire, qui est situé entre les Lumières et le romantisme, peine à s’imposer d’un point de vue strictement littéraire – même si Sainte-Beuve a dit que « les triomphes militaires de l’Empire avaient trouvé plus d’une fois, au retour, des splendeurs rivales dans les arts contemporains : telle page des Martyrs, une bataille de Gros ou la Vestale de Spontini. » La critique réduit en réalité trop souvent la littérature de l’Empire à Chateaubriand et Madame de Staël. Pourtant, Gustave Merlet (1828-1891), dans son Tableau de la littérature française de 1800-1815, a opéré une revue des œuvres de l’époque et a proposé une théorie intéressante : les auteurs de la période napoléonienne seraient les précurseurs de la prose et de la poésie du XIXè siècle.

1. Aux origines de la littérature impériale

La littérature impériale est perçue comme médiocre. Soit elle se limite à de futiles panégyriques à cause de la censure, soit elle peine à imiter un style classique déjà mort, soit elle fait œuvre d’un sentimentalisme exagéré et parfois un peu ridicule. Merlet, dans son ouvrage, ne cherche d’ailleurs nullement à la réhabiliter. Au contraire, il constate cette dégradation et cette pauvreté du style.
Dans l’article consacré à Merlet et publié en 1877 dans La Revue des Deux Mondes, Ferdinand Brunetière cherche à analyser plus en profondeur les causes de cette dégradation. Il démontre qu’on ne peut reprocher à la seule censure impériale la pauvreté littéraire du Premier Empire. Certes, Chénier a été destitué, Chateaubriand « persécuté », Staël proscrite. Mais Chénier s’est vu accorder 8.000 francs, Chateaubriand n’est qu’un « persécuté imaginaire » (pour reprendre les mots de Brunetière), et Staël est aussi l’auteur de cette formule : « Bonaparte était un homme que la véritable résistance apaisait, et ceux qui ont souffert de son despotisme doivent en être accusés autant que lui-même. » La littérature aurait-elle été meilleure sans la censure ? Pour Brunetière, la vérité est plutôt que les auteurs de l’époque manquent d’envergure.

Ce n’est pas tout pour voler que d’avoir l’espace libre ouvert devant soi, l’espace immense, le principal est encore d’avoir des ailes.
(« La littérature française sous le Premier Empire », Brunetière)

Cependant Brunetière, en citant Merlet, démontre ensuite que les auteurs de la période impériale ne sont pas les seuls coupables de la dégradation littéraire. Celle-ci est à rechercher bien avant.

Les germes de la décadence sont visibles dès le XVIIIe siècle, jusque dans ces jolis poètes, dont le style si soigné, si méticuleux, si scrupuleusement grammatical, n’offre sans doute aucune prise à la critique, mais nous inquiète déjà par je ne sais quoi de frêle et de fugitif qui échappe à l’analyse et presque à la perception.

Le XVIIIè siècle voit en effet déjà un net recul de la poésie. Les poèmes et les tragédies de Voltaire ne peuvent rivaliser avec les œuvres du classicisme. Brunetière énonce qu’au XVIIè l’art est une religion, au sens où les écrivains ne vivent que pour l’art. Au XVIIIè, l’art devient aussi une arme. Voltaire et Beaumarchais font des affaires et de la politique et « ne touchent à la littérature que par occasion. » Quand la Révolution éclate, « les écrivains jettent leur plume et se précipitent dans la politique », à l’image de Fabre d’Eglantine qui « oublie le chemin du Théâtre-Français ». La politique remplace la littérature et cela explique la pauvreté littéraire du Consulat et de l’Empire.
Cependant, outre le fait que la littérature impériale n’est que la suite logique d’un mouvement ayant débuté bien avant, elle est aussi fertile en promesses d’une renaissance prochaine. Merlet démontre en effet que les auteurs du Premier Empire annoncent, bien en avance, toute la littérature romantique. Brunetière écrit :

En littérature comme en histoire naturelle, il y a des œuvres de transition. Et si la critique littéraire, telle du moins qu’on la prône aujourd’hui, se piquait d’être conséquente avec soi-même et soumettait une bonne fois la liberté de ses allures aux rigueurs de la discipline scientifique, c’est peut-être à ces œuvres de transition qu’elle devrait consacrer le meilleur de son attention.

Aussi bien le théâtre que la poésie annoncent le romantisme à venir.

2. Les dramaturges

Les dramaturges du Premier Empire illustrent parfaitement la théorie de Gustave Merlet et Ferdinand Brunetière. En effet, soit ils copient le théâtre classique, soit ils puisent leurs sujets dans des domaines qui seront ceux du romantisme.
Ainsi, Charles Brifaut ou Étienne de Jouy écrivent des tragédies classiques à l’image de celles de Racine – des pièces en cinq actes écrites en vers qui s’inspirent de l’Antiquité grecque et romaine. Brifaut écrit Ninus II en 1813 et Étienne de Jouy La Vestale en 1807 et Sylla en 1822. Dans la comédie, François Andrieux imite Molière avec Le Trésor (1804), La Suite du Menteur (1804) et Le Vieux Fat ou les Deux Vieillards (1810). Collin d’Harleville écrit Les Querelles des deux frères en 1808 et Charles-Guillaume Étienne Mascarade sur mascarade en 1807 et Les Deux gendres en 1810.
Parallèlement à ces pièces classiques apparaissent des œuvres dramatiques déjà romantiques par leurs différents thèmes. Ainsi Népomucène Lemercier, « une des plus éclatantes gloires littéraires de l’Empire » selon Legouvé, préfigure Hugo et Dumas en s’inspirant du Moyen Âge. Il écrit Baudouin, empereur en 1808, Christophe Colomb en 1809 et Charlemagne en 1816. Dans Christophe Colomb, il va même jusqu’à braver la règles des trois unités. Sa pièce est l’occasion d’une querelle dans le public qui tourne à l’émeute (un spectateur est tué) et qui fait penser à la Bataille d’Hernani qui n’aura lieu que vingt ans plus tard.
Tippô-Saëb, tragédie écrite par Étienne de Jouy en 1813, s’intéresse à l’Orient – un thème qui sera cher aux romantiques.
Il faut enfin citer Alexandre Duval et Louis-Benoît Picard qui font des comédies historiques et bourgeoises à la Dumas (La Jeunesse d’Henri IV, Les Vieux garçons).

3. Les poètes

Les poètes de l’Empire aussi subissent la double force de la littérature passée et de celle à venir. Jacques Delille, Arnault, Luce de Lancival, Fontanes et Chênedollé imitent difficilement les auteurs du classicisme. Ainsi, Arnault écrit des tragédies classiques mais aussi des Fables (1802) imitées de celles de La Fontaine.

Pataud jouait avec Raton,
Mais sans gronder, sans mordre ; en camarade, en frère.
Les chiens sont bonnes gens ; mais les chats, nous dit-on ?
Sont justement tout le contraire.
Aussi, bien qu’il jurât toujours
Avoir fait pate de velours,
Raton, et ce n’est pas une histoire apocryphe,
Dans la peau d’un ami, comme fait maint plaisant,
Enfonçait, tout en s’amusant,
Tantôt la dent, tantôt la griffe.
Pareil jeu dut cesser bientôt.
— Eh quoi, Pataud, tu fais la mine !
Ne sais-tu pas qu’il est d’un sot
De se fâcher quand on badine ?
Ne suis-je pas ton bon ami ?
— Prends un nom qui convienne à ton humeur maligne ;
Raton, ne sois rien à demi :
J’aime mieux un franc ennemi,
Qu’un bon ami qui m’égratigne.
(« Le Chien et le Chat », Arnault.)

Mais les poètes impériaux sont là aussi les précurseurs du romantisme. Parseval-Grandmaison s’intéresse au Moyen Âge et compose un long poème à la mémoire de Philippe-Auguste. Creuzé de Lesser crée des poèmes sur la Table ronde (1811) et sur Roland (1812). La Panhypocrisiade, poème en seize chants de Népomucène Lemercier, est une œuvre déjà romantique.

Quand M. Merlet nous parle de la Panhypocrisiade de Népomucène Lemercier et qu’il nous cite parmi les pages qu’on en voudrait sauver « le dialogue de la conscience avec le connétable de Bourbon, la plainte du chêne abattu par des soldats, la dispute de Luther avec le diable, la conversation de Rabelais et de la Raison, » ou quand encore il fait défiler rapidement sous nos yeux quelques-uns des personnages de ce poème plus qu’étrange, « la Mort, Tristan l’Ermite, Tibère et saint Bernard, Attila et Copernic, Soliman et Christophe Colomb, La Trémouille et Satan, » ne pouvons-nous pas y reconnaître quelque chose de « déjà vu », je ne sais quelle ambitieuse mais grossière ébauche, indistincte encore et confuse, de la Légende des siècles ?
(« La littérature française sous le Premier Empire », Brunetière)

Lebrun Pindare, dans des poèmes emportés, préfigure également Victor Hugo. Chênedollé fait penser au « Lac » de Lamartine dans ces quelques vers :

Oh ! combien j’aime à voir par un beau soir d’été
Sur l’onde reproduit ce croissant argenté,
Ce lac aux bords riants, ces cimes élancées
Qui dans ce grand miroir se peignent renversées,
Et l’étoile au front d’or, et son éclat tremblant,
Et l’ombrage incertain du saule vacillant.

Et Fontanes écrit :

Ainsi quand d’une fleur nouvelle
Vers le soir l’éclat s’est flétri,
Les airs parfumés autour d’elle
Indiquent la place fidèle
Où le matin elle a fleuri.

On perçoit déjà nettement dans ces extraits le style et les thèmes qui seront chers aux grands noms du XIXè siècle.

4. Les prosateurs

Tous ces poètes et dramaturges annoncent le romantisme. C’est pourtant les prosateurs Chateaubriand et Madame de Staël qui sont restés dans l’Histoire.
Staël a le mérite d’être « à l’origine de la prose contemporaine, historique et politique, agissante et militante » par son style « net, précis, vivant » comme Chateaubriand « est aux origines de la prose descriptive et de la poésie du XIXè » (Brunetière précité).
Tout a déjà été dit sur ces deux auteurs qu’il est inutile de présenter. Ils sont les ponts littéraires qui mènent des Lumières au romantisme.

La littérature du Premier Empire est trop en retard et trop en avance. Elle est en retard car elle s’obstine à faire du classique alors que l’art nécessite du changement. Elle est en avance parce que son romantisme arrive un peu trop tôt ; ce mouvement ne prendra toute son ampleur qu’à partir de 1820 pour la poésie (avec la publication des Méditations poétiques de Lamartine) et 1827 pour le théâtre (avec la Bataille d’Hernani). Les œuvres de la période napoléonienne sont ainsi prises dans un creux. Elles sont à la fois l’aboutissement d’une lente dégénérescence littéraire qui commence dès le XVIIIè siècle, et l’embryon d’un renouveau de la littérature qui marquera tout le XIXè siècle.

 

Lectures conseillées :

POÉSIE

  • La Panhypocrisiade, Népomucène Lemercier
  • Fables, Arnault
  • Achille à Scyros, Luce de Lancival
  • Chênedollé

THÉÂTRE

  • Ninus II, C. Brifaut
  • Tippô-Saëb, É. de Jouy
  • Christophe Colomb, N. Lemercier

PROSE

  • Chateaubriand
  • Madame de Staël

COMPLÉMENT

  • La littérature française sous le Premier Empire, article de F. Brunetière publié dans La Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 24, 

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  1. de Parseval dit :

    Bonjour Etant petit fillot de Parseval Grand maison auquel je voue un interêt particulier , j’ai découvert tous ses manuscrits originaux datés de 1834 dont j’ai entrepris la transcription, 100 000 alexandrins , je dois en faire une présentation litteraire , ces vers non édités ( Revolution campagne d’Egypte) Tranchent avec les publications convenues destinées à l’Empereur et le font apparaitre par certains côtés comme un poète de transition, disciple de son professeur Delille , il aborde quelque fois en dehors des chants épiques des sujets plus intimes propices à une redecouverte du poète , en cas d’interêt merci de me faire signe pour une analyse critique, rine de cela n’a jamais été édité et resté enfoui dans un tiroir à part le philippe auguste


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