La Débâcle de Zola – Comprendre Sedan et la Commune

Émile Zola photographié par Paul Nadar, 1885
Zola par Nadar, 1885

Cette année 2021 verra la célébration des 150 ans de la Commune de 1871. Cette période trouble et décadente de l’histoire de France est, en général, assez méconnue dans ses détails. Zola, dans La Débâcle, fait toute la lumière sur ses événements tragiques : le chef de file des naturalistes raconte au jour le jour la défaite de Sedan, suivie de la Commune de Paris.

Qu’est-ce que Sedan ?

Pour comprendre la Commune, il faut d’abord comprendre la bataille de Sedan – et pour cela, revenir au 2 décembre 1851. Les deux décembre sont des dates clés pour la famille Bonaparte. Le 2 décembre 1804, Napoléon Ier est sacré empereur. Le 2 décembre 1805, Napoléon gagne la bataille d’Austerlitz. Et le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte, le neveu du premier empereur, organise un coup d’État et met fin à l’éphémère Deuxième République, en devenant à son tour empereur sous le nom de Napoléon III.
Victor Hugo, outré, combat avec véhémence ce « singe » qui s’est recouvert d’une « peau de tigre ». Mais ces imprécations ne lui vaudront que l’exil, et le Second Empire perdurera jusqu’en 1870.
En 1870, justement, l’Empire vacille. Napoléon III n’est plus aussi populaire. Il multiplie les fautes politiques et la Prusse de Bismarck, à l’Est, touche la France, et se fait de plus en plus pressante. Le 19 juillet, la guerre est déclarée. Les causes invoquées, superficielles, importent peu : l’essentiel est de comprendre que la France est une puissance déclinante, la Prusse une puissance montante, et que par conséquent le conflit est inévitable.

Les Français sont orgueilleux. Ils sont les descendants des Grognards, les soldats de Napoléon qui ont vaincu toutes les puissances d’Europe sans discontinuer pendant plus de quinze ans. Ils traînent derrière eux la gloire de leurs illustres ancêtres. Les généraux de l’armée française, Mac Mahon en tête, ne s’embarrassent pas de cartes de France : ils n’emportent avec eux que des plans de l’Allemagne, certains de fondre sur la Prusse à la vitesse de l’éclair, et de défaire en quelques jours seulement la puissante armée du maréchal Moltke. Cette erreur sera fatale à l’armée française qui, défaite dès les premiers jours, sera contrainte de se mouvoir sur son propre territoire.

Le colonel eut un vague geste désespéré. Il savait que, dès la déclaration de guerre, on avait distribué à tous les officiers des cartes d’Allemagne, tandis que pas un, certainement, ne possédait une carte de France. Depuis un mois, ce qu’il voyait et ce qu’il entendait l’anéantissait. Il ne lui restait que son courage, dans son autorité de chef un peu faible et borné, qui le faisait aimer plutôt que craindre de son régiment.
(La Débâcle, E. Zola.)

Dès le mois d’août, les Français, défaits à Wissembourg, constatent avec horreur la puissance de l’ennemi et leur propre déchéance. Les troupes sont déplacées sans aucune logique. Tantôt elles se replient vers Paris, tantôt elles se portent en avant – mais toujours trop tard. Cette incertitude permanente s’explique par les hésitations du haut commandement : Napoléon III préfère replier tout le monde sur Paris pour attendre de pied ferme les Prussiens, tandis que l’impératrice et les ministres voudraient forcer l’empereur à se porter en avant.
C’est finalement l’impératrice qui aura raison de son mari : trop tard, hélas ! Les troupes s’élancent et rencontrent l’ennemi à Sedan, une petite commune des Ardennes située entre Charleville et Bazeilles. La défaite est totale : l’armée française est anéantie.

Je suis l’Empire à la fin de la décadence,
Qui regarde passer les grands Barbares blancs
En composant des acrostiches indolents
D’un style d’or où la langueur du soleil danse.
L’âme seulette a mal au cœur d’un ennui dense,
Là-bas on dit qu’il est de longs combats sanglants.
(Langueur, P. Verlaine.)

La capitulation est désormais inévitable. En premier lieu, les Prussiens exigent que l’armée française, vaincue à Sedan, soit tout entière désarmée. Pour obéir à ces conditions drastiques, les soldats sont menés sur une presqu’île bientôt surnommée le Camp de la Misère : les soldats, évacués un par un, doivent patienter pendant des jours sous une pluie diluvienne, sans ravitaillement. Affamés, pris par la dysenterie, les fantassins meurent par milliers.

Et la journée du lendemain, et la journée du surlendemain, furent vraiment abominables, sous les continuelles ondées, si drues et si fréquentes, que les vêtements n’avaient pas le temps de sécher sur le corps. La famine commençait, il ne restait plus un biscuit, plus de lard ni de café. Pendant ces deux jours, le lundi et le mardi, on vécut de pommes de terre volées dans les champs voisins ; et encore, vers la fin du deuxième jour, se faisaient-elles si rares, que les soldats ayant de l’argent les achetaient jusqu’à cinq sous pièce. Des clairons sonnaient bien à la distribution, le caporal s’était même hâté de se rendre devant un grand hangar de la Tour à Glaire, où le bruit courait qu’on délivrait des rations de pain. Mais, une première fois, il avait attendu là, pendant trois heures, inutilement; puis, une seconde, il s’était pris de querelle avec un Bavarois. Si les officiers français ne pouvaient rien, dans l’impuissance où ils étaient d’agir, l’état-major allemand avait-il donc parqué l’armée vaincue sous la pluie, avec l’intention de la laisser crever de faim ? Pas une précaution ne semblait avoir été prise, pas un effort n’était fait pour nourrir les quatre-vingt mille hommes dont l’agonie commençait, dans cet enfer effroyable que les soldats allaient nommer le Camp de la Misère, un nom de détresse dont les plus braves devaient garder le frisson.
(La Débâcle, E. Zola.)

L’armée française est vaincue, mais les Prussiens ne vont pas s’arrêter en si bon chemin. Aussi continuent-ils inexorablement leur marche victorieuse vers la capitale, Paris.

Qu’est-ce que la Commune ?

1870. L’armée française est vaincue, Paris est encerclé. Napoléon III est fait prisonnier, la foule gronde, des révoltes éclatent un peu partout. Des citoyens, parmi lesquels Léon Gambetta, prennent d’assaut les lieux de pouvoir et proclament le 4 septembre la fin du Second Empire, au profit de la Troisième République.
Les Prussiens qui encerclent Paris se moquent bien de la politique française. Ils ne veulent qu’une chose : négocier la fin de la guerre en qualité de vainqueurs. Aussi laissent-ils les Français organiser les élections de l’Assemblée nouvelle afin de pouvoir traiter dans les règles de l’art. C’est chose faite le 8 février 1871. La nouvelle assemblée élue est majoritairement monarchiste, c’est-à-dire qu’elle est pour la paix. Celle-ci est de toute façon inévitable : résister encore revient à se suicider, Paris est cerné.
L’Assemblée, présidée par Thiers, capitule donc avec la Prusse. Les ouvriers parisiens, qui se sentent humiliés et souffrent le plus durement du siège de Paris, s’insurgent. Ultra-radicaux, ils rejettent l’assemblée démocratiquement élue, forment une Commune insurrectionnelle, et exigent la poursuite de la guerre. Paris se couvre de barricades : le Gouvernement doit fuir à Versailles.
1789 recommence à l’identique, à ceci près que Thiers n’est pas Louis XVI. Doté d’un esprit autrement autoritaire que le pâle Bourbon, lui ne joue pas double jeu comme le capétien, et comprend que si l’ordre n’est pas immédiatement rétabli, la situation risque bien de dégénérer comme en quatre-vingt-treize.
Du 21 au 28 mai 1871, les Versaillais débarquent dans Paris et massacrent les Communards à coup de mitraille : la Commune n’y résiste pas. La paix, enfin, celle qui résulte de la déroute de Sedan, est conclue entre la France et la Prusse : la première cède à la seconde l’Alsace et la Lorraine, voit son armée démantelée, et s’engage à payer un lourd tribut à ses vainqueurs.

Alors, Jean eut une sensation extraordinaire. Il lui sembla, dans cette lente tombée du jour, au-dessus de cette cité en flammes, qu’une aurore déjà se levait. C’était bien pourtant la fin de tout, un acharnement du destin, un amas de désastres tels, que jamais nation n’en avait subi d’aussi grands : les continuelles défaites, les provinces perdues, les milliards à payer, la plus effroyable des guerres civiles noyée sous le sang, des décombres et des morts à pleins quartiers, plus d’argent, plus d’honneur, tout un monde à reconstruire ! Lui-même y laissait son cœur déchiré, Maurice, Henriette, son heureuse vie de demain emportée dans l’orage. Et pourtant, par delà la fournaise, hurlante encore, la vivace espérance renaissait, au fond du grand ciel calme, d’une limpidité souveraine. C’était le rajeunissement certain de l’éternelle nature, de l’éternelle humanité, le renouveau promis à qui espère et travaille, l’arbre qui jette une nouvelle tige puissante, quand on en a coupé la branche pourrie, dont la sève empoisonnée jaunissait les feuilles. Dans un sanglot, Jean répéta :
–Adieu !
Henriette ne releva pas la tête, la face cachée entre ses deux mains jointes.
–Adieu !
Le champ ravagé était en friche, la maison brûlée était par terre; et Jean, le plus humble et le plus douloureux, s’en alla, marchant à l’avenir, à la grande et rude besogne de toute une France à refaire.
(La Débâcle, E. Zola.)

Conclusion

La Débâcle, un livre frappé du double sceau du « Mal du Siècle » et du « décadentisme », constitue sans doute l’un des romans les plus sombres et les plus pessimistes du cycle des Rougon-Macquart. À juste titre : la défaite de 1870 devait marquer durablement les esprits, et, jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, planer comme une ombre sur la Troisième République.

 

Lecture conseillée

  • La Débâcle, E. Zola, 1892

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