Les Chants de Carmora


 

CHANT III

FÉGARA

 

Le palais de Belgarod se dressait sur une colline au nord du fleuve Idir.

Il était bâti sur trois niveaux, retranchés les uns par-dessus les autres ; chacun de ces étages était entouré d’une muraille particulière, haute de cent coudées. Les tours, ainsi que les différentes parties du corps principal, étaient surmontées de coupoles, tantôt de bronze et tantôt d’airain, elles-mêmes surhaussées de flèches en argent ; et des balustrades, qui supportaient des séries d’arches, servaient de garde-corps à des galeries ouvertes, creusées au long des façades. En contrebas, le flot des maisons s’étalait indistinctement, à perte de vue ; comme le soir approchait, les parties les plus basses de la ville demeuraient plongées dans l’obscurité.

Fégara s’accouda contre la rambarde de sa terrasse, dans les hauteurs du troisième niveau. Elle portait une robe ample, toute liquide, serrée à la taille par une ceinture de soie et recouverte d’un surcot doublé de fourrure, avec par-dessus une pèlerine bleue. Ses cheveux, tenus dans un voile transparent, tombant d’un étroit cercle de bronze sur lequel elle avait déposé une petite couronne, paraissaient enfermés dans une vapeur.

À l’horizon, le soleil achevait de disparaître sous la terre. Il enflammait les nuages disposés en énormes traînées cotonneuses, pareilles aux plis d’une robe immense, de lueurs orangées et violettes. À l’est, le ciel était noir déjà, et la lune s’élevait, pâle dans la clarté du soir couchant. Les remparts crénelés, les hôtels avec les tours en pointe, les temples surélevés ne faisaient plus que des silhouettes ; mais comme il avait plu, les derniers rayons faisaient miroiter les sommets couverts de gouttelettes des terrasses, des arbres dans les cours et des toitures des monuments — et toute la ville étincelait comme si elle eût été saupoudrée d’une poussière de feu. Le fleuve large, paresseux, barré en son milieu d’un sillon pourpre empli de scintillements, sinuait entre les blocs opaques des demeures ; il ressemblait à un ruban tout froissé, car le vent l’agitait de rides mouvantes. Dans les maisons des riches, on commençait d’allumer les flambeaux ; les fenêtres, aux illuminations vacillantes, imitaient les reflets chancelants des premières étoiles. La lune pleine, en montant, enfiévrait le ciel dégagé ; elle roulait lentement parmi la vaste pénombre, en pâlissant les feuillages.

La princesse laissa son regard se perdre insensiblement entre les méandres des rues. Les parfums qui emplissaient sa chambre l’enivraient un peu ; ses pensées divaguaient dans des considérations mystiques. Elle songeait aux célèbres ravissements des mythes : Gamaël, qui était devenu une colombe et s’était envolé jusqu’à l’île des Vallëons, la terre des morts cachée dans les plates latitudes de l’océan ; Méliana, transformée en pluie, éparpillée telle qu’une source au hasard des fleuves ; la vierge Elyna, changée en ourse avant d’être portée au ciel, et clouée en constellation — et Fégara se prenait à souhaiter, âprement, d’être ravie à son tour.

Le visage de Felgar lui apparut soudain ; elle se laissa emportée par des souvenirs ; et comme elle était portée à la mélancolie, toute son enfance lui revint en mémoire.

Son père l’avait élevée dans l’espoir qu’elle entre au temple des Édylliades, chez les prêtresses, les vierges protectrices du feu sacré, révérées par le peuple. Elle avait grandi dans les rigueurs de la religion. Son enfance s’était passée en jeûnes, en prières, en adorations successives à la lune, au soleil, aux étoiles. Elle avait chanté les incantations jusqu’à la transe, elle avait eu les visions des dieux dans les nuages. Elle avait accompagné les prêtres aux sacrifices, appris leur savoir, et même été initiée aux traditions magiques. Elle connaissait les sorcières du quartier des Mines, et s’en méfiait comme des corruptrices des enchantements du monde.

Elle n’avait finalement jamais prononcé les vœux ; car le roi, désireux de contrer l’influence croissante des ligues méridionales, avait trouvé un intérêt plus profitable à la marier au prince d’Iscarod. Elle en avait ressenti une peine cruelle ; cependant elle s’était résignée, par respect pour son père autant que par égard pour le prince. Puis Maldar l’avait comblée par sa fidélité, sa tendresse et sa loyauté. Le prince avait même adouci la dureté de son caractère, en déchirant ce voile de pudeur qui l’avait jusqu’alors tenue éloignée de la société des hommes ; il pratiquait la religion comme la populace, sans y croire vraiment. Et il lui avait transmis, peut-être malgré lui, à désirer les biens temporels, le pouvoir, la richesse et la gloire.

Mais un cri, une lamentation interminable, une lente plainte tonitruante, déchira le silence de la nuit. La princesse commençait de s’assoupir ; elle sortit de sa rêverie brusquement. Une sentinelle venait de souffler dans une corne d’airain une note grave, qui résonna dans toute la ville et se perdit dans la campagne en échos longs. Les gardes s’agitèrent sur les remparts ; on alluma des feux.

Une ligne noire gigantesque, irrégulière, était apparue au sommet d’une colline, au sud.

Fégara pâlit. Elle reconnaissait sous la clarté des astres des drapeaux s’agitant, des hommes à cheval, et, comme une sorte de miroitement, les scintillements nombreux de la lune contre des boucliers, des casques, des fers de lance.

C’était l’armée de son oncle, le prince Varden.

Un an avait passé depuis la mort simultanée du roi Felgar et de ses jumeaux, Halldor et Vagan.

Dès le lendemain des funérailles, la princesse avait réclamé pour elle le titre de son père, au nom de son héritage. Mais le frère de Felgar, Varden, avait prétendu qu’une femme ne pouvait monter sur le trône. Fégara disposait du soutien de Maldar, le prince d’Iscarod et du Mordarën ; alors, elle avait contraint le grand-prêtre d’Aémyr, Métélès, à la couronner en dépit des menaces de son oncle. Ce dernier, quand il avait appris l’audace de sa nièce, était entré dans une colère immense ; il avait réuni ses hommes, et il lui avait déclaré la guerre.

Elle pensa : « Belgarod est impénétrable ! » Mais en même temps elle s’appuyait des deux mains à la balustrade, et regardait avec horreur l’armée se déplier lentement, puis descendre la colline en s’élargissant, enfin se déployer tout autour de la Cité.

Elle rentra dans sa chambre ; puis elle agita une clochette, en criant :

« Moïna ! »

Une jeune femme parut, sa camériste. Elle paraissait en proie à une sourde inquiétude. Sans doute, elle avait entendu les cris des sentinelles ; peut-être même était-elle montée sur la terrasse discrètement, avait-elle aussi admiré l’avancée des troupes ? Toute la ville bruissait déjà de rumeurs. On entendait des cris dans les rues ; des gens traversaient les places en courant, des soldats sortaient des casernes.

Fégara s’était retournée vers la fenêtre ; abîmée dans sa contemplation, elle demeurait silencieuse, le visage fixe, et sans un mouvement.

« Maîtresse ! dit Moïna, n’y tenant plus. Ces hommes ! Est-ce que ?… »

La princesse la dévisageait maintenant avec des yeux terribles.

« Tu n’as rien à craindre », répondit-elle.

Elle s’était avancée ; elle lui prit les mains et les pressa doucement afin de la rassurer ; et elle ajouta, d’une voix sèche :

« Je dois parler à Mellëador.

— Et le prince, maîtresse ? »

Maldar commandait la garnison de Belgarod.

« Laisse-le », répondit Fégara.

Il était inutile de le convoquer. Il connaissait ses devoirs ; sûrement, il avait déjà fermé les portes de la ville, et distribuait ses ordres. La Cité, même alliée au pays du Mordarën, n’eût point seule affronté la Ligue ; mais elle pouvait longtemps résister à un siège, d’autant plus que le prince d’Ardan ne prendrait jamais le risque de franchir le fleuve.

Moïna s’inclina et partit chercher Mellëador.

Le vieil enchanteur avait débarqué sur la terre avec les premiers colons, au temps de la grande accalmie des océans ; puis, longtemps erré dans les terres au sud des Faëlins, visitant les déserts mythiques de l’Hadjar où dorment des lacs de perles, et où nagent dans les dunes des baleines à la peau blanche ; il avait chevauché trente jours et trente nuits dans les vallées sombres qui mènent aux cavernes souterraines du Gollaland, et passé le pont d’or d’Irmidell, gardé par le dragon Borseddy.

Il avait étudié dans les collèges impériaux les soixante-huit lois divines qui fondent les civilisations ; officié au temple de Vullnos, et suivi les petits et les grands mystères de Silésa, dont le point culminant était la révélation du Bonheur dans la contemplation des « folia » ; il avait connu l’empereur Faustus, peut-être même habité dans son fameux palais tout en ébène, incrusté d’émeraudes et de coquillages ; il avait vu la gloire de l’empire, et sa ruine dans l’abaissement du soleil.

Après, il avait conseillé les rois de Carmora jusqu’à Eyvind, Sigvald et Fallëgar, mais absent souvent, ne paraissant qu’aux moments favorables, telle une providence. Quand le roi Felgar, fils de Fallëgar, avait porté la couronne après la mort de son père, il avait vécu à sa cour, mangé à sa table, chevauché dans la campagne à ses côtés. Comme il connaissait l’avenir aussi bien que le passé, il l’avait aidé à gagner les batailles, à déjouer les complots, à se garder des pièges ; par une affection dont la cause était une énigme, il lui avait dispensé sa sagesse inconsidérément. C’est lui qui avait ramené d’un lieu inconnu le miroir aux avenirs, que l’on ne regardait qu’avec terreur, et sur lequel on avait jeté un voile béni par les vierges, et maudit par les sacrificateurs.

Fégara se souvenait de lui : il la terrifiait quand elle était enfant ; mais elle se rappelait aussi qu’une nuit d’été, sur la terrasse, il l’avait prise par la main, et lui avait montré les cieux :

« C’est le ventre de la déesse, avait-il dit d’une voix profonde, et son corps est parsemé d’étoiles. La lune est née de sa conscience, le soleil de son regard, le vent de sa bouche. Le frêne géant qui croît sans fin la repousse toujours plus loin ; c’est pour cela que la lune, le soleil et les étoiles s’éloignent chaque jour. »

Un vertige effrayant l’avait saisie.

Quelquefois, le magicien abandonnait le palais pour des voyages enveloppés de mystères, qui duraient de longs mois. Un jour, il avait disparu, et l’on avait attendu son retour en vain : c’était avant la bataille de Tullia.

On avait fini par le croire mort, ou probablement retiré dans quelque antre secret, jusqu’à la grande fin des temps. Son retour soudain, après treize années de silence, avait stupéfié les vénérables du palais, ainsi que les prêtres les plus anciens ; mais ceux-ci, jaloux de son influence, ne le considéraient qu’avec méfiance, et regardaient ce retour d’un mauvais œil. Même la reine lui gardait rancune de son abandon, parce qu’il avait meurtri son père cruellement ; et jusqu’à ce soir elle avait refusé de le rencontrer, bien qu’il eût insisté pour qu’elle lui ouvrît sa porte.

La princesse se retourna. L’enchanteur venait d’entrer dans sa chambre.

Des breloques, accrochées à ses robes bouffantes, remuaient avec le tremblement des étoffes ; il portait autour du cou un collier où pendaient des dents longues comme des épingles, des agates, et des écailles pourpres avec des reflets d’or ; une escarboucle était attachée à sa ceinture, ainsi qu’une sorte de pierre, ronde, étrange, qui luisait pareille à un œil ouvert. Il paraissait très vieux : il avait la barbe grise, abondante, et sur le visage des rides creuses, ombragées, qui formaient des sillons noirs. Son regard, écrasant, manifestait une tristesse insoutenable. Un long serpent tout fin, enroulé autour de son bâton, agitait doucement sa tête plate — et sa langue chatouillait les bords de sa bouche écailleuse, en sifflant.

« Mellëador », dit Fégara, en se levant.

Mais il la contemplait tel qu’une statue, les traits durs et les sourcils froncés. Son attitude la troublait ; alors, elle ajouta, d’une voix glaciale et en même temps brisée, comme secouée par une émotion enfouie depuis trop longtemps :

« Tu ne me reconnais pas ? »

Il gardait la même expression ; la reine ne le supporta plus ; sa colère éclata :

« C’est moi qui devrais t’avoir oublié ! Je t’ai attendu pendant des années !… Je t’ai invoqué dans les rites ! J’ai crié ton nom, en vain ! Où étais-tu ? Ne pouvais-tu au moins me faire un signe ? M’écrire dans les nuages ? Me parler dans un rêve ? Je t’ai tellement haï ! Je t’ai voué à tous les fléaux, j’ai maudit ton nom ! »

Elle s’agaçait de son silence impénétrable. Cependant l’urgence la talonnait.

« Es-tu toujours aussi savant ? Sais-tu encore lire l’avenir ? »

Et, montrant du doigt l’horizon :

« Dis-moi ! Dis-moi, je t’en prie ! Parle ! »

Elle pleurait presque, à la fois de rage, de peur et d’humiliation. Mais il lui en voulait de l’avoir tenu à l’écart, quand, rentré dans la ville, il avait désiré la rencontrer.

« Enfin, répondit-il, tu te décides à me recevoir ? Quand il est déjà trop tard ! Quand Belgarod est encerclé ! »

Elle tressaillit.

« C’était pour te mettre en garde que j’étais revenu. Je l’ai fait au nom de ton père, au nom du royaume. Et par amour pour toi ! »

Elle baissa la tête.

Alors, il lui dit que malgré son absence, il n’avait jamais cessé de veiller aux intérêts du royaume ; même, il avait assisté aux funérailles du roi et de ses fils, caché dans la foule. Il avait pleuré silencieusement avec le peuple ; il était venu la nuit sur les trois tombeaux, afin d’appeler sur eux la clémence des dieux.

Quand il avait appris la nouvelle de son couronnement, il avait craint pour la paix. Torturé par le doute, il était sorti de sa retraite et descendu dans les cavernes de Gordolhem, où il avait parlé aux lunatiques, les visages blancs, les fils bâtards des vierges, prises par le dieu Lune au début du monde. Ils avaient confirmé ses inquiétudes les plus sinistres, lui prédisant la guerre, mais aussi la ruine irrémédiable de Carmora, si la reine et son oncle s’obstinaient dans l’orgueil.

« Ne demeure pas sourde à leurs prophéties, cesse de t’acharner. Les villes seront anéanties, les récoltes ravagées, les troupeaux décimés. Il y aura du sang dans les fleuves, et des cadavres dans les plaines. Ce sera pour les hommes comme la fin du monde !

— Je ne les crois pas, répondit l’épouse de Maldar avec insolence. Ils se trompent ! Ils sont menteurs ! »

Peut-être disait-elle cela pour atténuer sa honte ? Si les lunatiques étaient dans l’erreur, son tort à elle perdait un peu de sa gravité. Mais l’enchanteur ajouta qu’il avait regardé les étoiles du ciel, respiré les fumées des volcans, bu les écumes des vagues ; que tout avait corroboré leurs prédictions. Est-ce qu’elle doutait encore ? Son entêtement ridicule allait perdre le royaume.

« Tu voulais connaître l’avenir ; le voici ! »

La reine chancela.

« Non !… » murmura-t-elle.

Elle s’appuya au rebord de la fenêtre. En bas, l’armée grossissait, à mesure qu’elle se massait au pied des remparts ; des hommes continuaient de descendre des collines, par flots ininterrompus. Un branle-bas permanent agitait les rues.

« Mon oncle n’aime que l’or ! dit-elle. Je le couvrirai de richesses, et il partira ! »

Elle était prête à lui donner des merveilles à n’en plus finir, des rivières de diamants, des soieries, des vins et des draps larges comme des plaines ; n’aimait-il pas, surtout, ces coraux noirs qui valaient des empires ? Elle lui céderait tout !

« Le palais en regorge ! Je sais où sont cachés les trésors ! Je connais les lieux secrets !

— Il ne voudra que ta couronne, coupa Mellëador.

— Jamais ! » souffla-t-elle ; et ses yeux s’embrasèrent.

Elle tremblait ; mais le magicien toucha son épaule, et une chaleur s’exhalant des profondeurs de sa poitrine roula dans ses veines, une sorte d’apaisement qui confinait à la torpeur, pareille à l’effet d’un charme. Elle ressentait au travers de cette peau le prolongement de sa force enchanteresse ; son cœur se ralentit. Elle revit d’un seul coup les épanchements passionnés de son père, ses larges embrassements au retour des campagnes, comme des tourbillons d’amour ; et les retraites avec les vierges des temples, les exaltations communes, les transports d’extase dans la répétition des chants. Toutes ses pensées s’engourdirent ; une affection inattendue pour Mellëador la saisit, et elle regretta de l’avoir dédaigné.

« Je ne te veux aucun mal », chuchota-t-il.

Elle se jeta dans ses bras, et pleura comme une enfant.

Puis, l’enchanteur la mena sur la terrasse, là où jadis il lui avait montré l’univers. Les heures avaient filé comme des météores ; à l’est, une courbe lumineuse éclairait déjà le ciel, de l’autre côté des forêts, des vallons, de l’océan. L’air était frais ; l’humidité perlait contre les feuilles des plantes. Le vent portait jusqu’ici les bruits des mouvements de l’ennemi.

Mellëador parlait d’une voix lente, en regardant les astres disparaître dans la naissance de l’aube.

« Ton courage serait inutile. L’avenir est une loi immuable : il est vain de chercher à la transgresser. C’est écrit : tout s’effondrera, si tu résistes ; même si tu devais l’emporter, tu régnerais sur des ruines. »

Les étoiles pâlies miroitaient dans ses prunelles, qui ressemblaient à des galaxies. Le serpent, autour de son bâton, sifflait doucement. Le vent, agitant ses vêtements, faisait clinquer les grelots appendus aux bordures de ses manches béantes.

Fégara s’affaissa sur elle-même. Elle sentait bien qu’il disait la vérité ; elle se laissait convaincre malgré elle, parce qu’il lui donnait à voir les visions des grands ravages, et des charniers dans les prairies. Pourtant, elle ne s’était pas encore résignée à la capitulation. Renoncer à la couronne ! Renoncer au titre de son père ! Renoncer à son héritage, c’était le poignarder dans sa tombe, c’était le perdre une seconde fois ! D’ailleurs, son oncle accepterait-il seulement de trouver un compromis ? Elle cherchait désespérément un prétexte, n’importe lequel, pour gagner du temps, pour contredire le magicien.

« Le miroir ! » s’écria-t-elle.

Elle voulut s’en servir. Et s’il lui renvoyait un reflet différent de l’avenir ? Et s’il lui promettait la chute de Varden, et sa propre élévation triomphante, sur le piédestal de son corps mort ? Mellëador lui-même l’avait admis souvent, le futur était une connaissance insaisissable en sa totalité ; il avait peut-être mal interprété les paroles des lunatiques, les planètes, l’écume des vagues ?

Mais elle était épouvantée à l’idée de le contempler seule. Elle supplia Mellëador de l’accompagner ; elle osa même le tirer par la manche, dans un suprême élan ; il se dégagea d’un geste hautain.

« C’est inutile ! Le miroir ne te sauvera pas. Je t’ai déjà tout dit ! »

La déception de la princesse fut à la hauteur de la conviction qui l’avait un moment aveuglée. Une angoisse indicible la découragea. C’était comme si elle s’écroulait au sol, après s’être envolée au ciel. Elle tomba sur les genoux. Et tandis qu’elle demeurait interdite, l’enchanteur tourna les talons, et disparut dans les arrières du palais.