Les Chants de Carmora


 

CHANT XIII

AU CONSEIL

 

Ceanna ne se pardonnait pas d’avoir regardé dans le miroir. Sa curiosité l’avait perdue. La puissance irrésistible des désirs longtemps ignorés qui dormaient dans son cœur, découverte dans l’amour d’un homme, avait bousculé son existence. Son mariage, par contraste, lui était apparu intolérable.

Elle avait cru au retour de Dorán, à leur promesse de se revoir, de s’épouser, de s’enfuir. Mais la certitude qu’elle allait vivre à ses côtés l’expérience de l’absolu, la passion suprême, le plein éveil de la conscience dans le renoncement au monde, s’était avec le temps changée en un doute horrible ; et, pour le dissiper, elle n’avait pas résisté à la tentation d’entrevoir l’avenir dans sa globalité vague. Par un espoir qu’elle avait fini par prendre pour une vérité, elle s’était même persuadée qu’elle y découvrirait l’amour en sa forme idéale, et la révélation de ce mystère avait encore attisé sa curiosité.

En vérité, il ne lui était jamais venu à l’esprit qu’elle pût vraiment finir ses jours sans Dorán ; après avoir attendri Métélès, elle n’avait soulevé le voile en vadmel que pour pour avoir une idée des entraves qui se mettraient en travers de leur chemin, des défenses qu’ils allaient devoir surmonter.

Elle aurait tout bravé : elle dépérissait de toute façon ! — mais la mort ?

Presque tous les jours, elle s’asseyait sur l’appui en pierre de sa fenêtre, et, la tête penchée, s’abîmait dans des pensées lugubres, avec l’impression d’étouffer sous le poids énorme de ses regrets.

Ce soir, une pluie drue éclatait contre les toits de Belgarod, remuait le fleuve, ruisselait sur les terrasses ; et la solitude pesait plus que d’habitude contre les épaules de Ceanna.

Elle revoyait dans des fulgurations les manifestations des reflets magiques, son propre exil dans la désolation, le triomphe de Dorán, le néant. Entre ces lueurs, elle avait des visions passagères, intimes, des brefs moments qui l’avaient délectée d’une joie extraordinaire : c’étaient les chuchotements au fond des jardins, les nuits d’été, lors du tournoi du Champ-des-Lys ; et puis les chevaliers dans la lice, les fleurs largement épanouies, les feuillages tremblant sous la caresse du vent.

Elle n’avait plus envie d’entrer au collège des prêtresses d’Hagadé, au temple des Édylliades ; elle voulait s’en aller au sanctuaire d’Aémyr, au pied des Faëlins, là où le père des dieux fit tourner une branche de frêne dans une souche d’aulne, et avec l’étincelle qui en jaillit anima les morceaux de bois, pour créer l’homme et la femme. Après, elle franchirait les montagnes au col de Taradëll, afin de faire disparaître ses souvenirs, et renaître dans l’oubli. Mais elle aperçut tout à coup la vanité de cette entreprise ; sans doute, son chagrin la suivrait où qu’elle parte ? L’œil mauvais continuerait de la regarder jusque dans la tombe ! Et cette pensée, l’horrifiant, lui donnait envie de disparaître.

Il ne pleuvait plus. Ceanna se leva et déambula sur sa terrasse, pieds nus, indifférente à la glaciale humidité du dallage. Elle regarda la ville s’étendant en contrebas : les colonnes des temples projetaient de longues ombres qui rayaient les façades, les pavés, de bandes noires aux contours vaporeux ; les buissons des jardins, les fleurs, les plantes, les feuilles des arbres s’égouttaient lourdement ; sous les arches des ponts, le fleuve obèse s’écoulait, tout près de franchir les digues, de noyer les rues déjà bourbeuses ; les places faisaient des pores dans la cité dense ; les demeures s’entassaient sur les demeures, et parfois débordaient des murailles ; à l’ouest, les grands hôtels s’élevaient orgueilleusement derrière les cours d’honneur ; au sud, au pied des murs, l’obscurité gagnait déjà les masures des pauvres.

L’eau finissait de se déverser des toits ; des filets tombaient des branches, en cascades, chaque fois qu’un coup de vent les ébranlait. Une odeur de végétation humide, persistante, traînait dans l’air ; les échos des ruissellements résonnaient dans les rues silencieuses, calmes après la tempête. Au ciel, des nuages de la taille de pays s’étalaient à perte de vue ; le soleil du soir couchant, en les traversant de ses derniers feux, les illuminait de teintes crépusculaires.

Le froid était pénétrant. Ceanna pâlit incroyablement. Elle voulut rentrer ; mais la pensée de retrouver sa chambre, avec son morne quotidien, l’arrêta tout à coup.

« Si je meurs ? » songea-t-elle.

Et, déboutonnant son col, elle déploya son buste à la fraîcheur des vents.

Elle n’eut pas le loisir d’aller jusqu’au bout de sa résolution ; la porte s’ouvrit, Godélor parut. Il fouilla la pièce du regard ; dès qu’il aperçut Ceanna, il se précipita, l’enveloppa dans son manteau, et, l’étreignant aux épaules, la repoussa à l’intérieur. Ensuite, il ferma les fenêtres, brutalement. Elle, à demi inconsciente, se laissait guider sans défense.

« Tu voulais donc mourir ? s’exclama-t-il. Regarde-toi ! Tes lèvres sont bleues ! Tu frissonnes ! »

Elle s’était assise au bord du lit.

Le vieillard, s’agenouillant, demeura un instant à la contempler. Elle était en train de le séduire par sa faiblesse même.

Avec le lin des draps qui dépassaient, il entreprit de lui sécher les pieds, car ils étaient froids comme le marbre. Et pendant qu’il les recouvrait avec une délicatesse d’enfant, et cherchait à les enrouler dans la chaleur des tissus, il penchait lentement la tête vers ses genoux, attiré par un désir irrésistible.

Il ferma les yeux et se mit à les baiser du bout des lèvres, amoureusement, à la manière extatique des adorateurs ; chacun de ces contacts, à peine sensibles pourtant, tout en excitant la fureur de ses sens, décuplait l’envie qu’il avait de la posséder.

« M’aimes-tu ? demanda-t-il en haletant. Dis-moi ! M’aimes-tu ? »

Elle ne répondait pas ; mais lui, poursuivant :

« Tu as pour moi le charme des déesses ! Es-tu née dans les astres ? As-tu grandi dans les nuages ? Je te croirais, si tu m’avouais descendre du ciel ! »

Il profitait de sa torpeur pour la caresser ; son odeur lui embrumait la tête, le grisait, et il s’abandonnait tout entier à cette ivresse délicieuse. Il murmurait :

« Laisse-toi faire ! Couche-toi, ne résiste pas ! Tu dois t’offrir, maintenant… Peut-être qu’en m’unissant à toi, je goûterai au charme des dieux ? Oh ! Tu me rendras ma jeunesse ! Et je retrouverai, dans la chaleur de ton haleine, mon courage, ma force, mon intelligence ! »

D’abord, elle ne dit rien, insensible, l’esprit égaré en d’autres sphères. Comme elle ne réagissait pas aux audaces de son époux, il continuait de la toucher, et sa poigne se faisait de plus en plus dure.

L’humidité, dehors, accentuait les rumeurs de la ville ; Ceanna sembla revenir à elle ; en voyant Godélor à ses pieds, elle rougit, puis se leva et s’écarta, d’un mouvement brusque. En même temps, elle tendait les bras pour le tenir éloigné.

Le vieux seigneur s’était redressé.

« Quoi ! dit-il en s’approchant, le souffle court. Tu me rejettes ? »

Et hostile, dans sa férocité de vieillard :

« Qu’ai-je fait pour que tu me haïsses ? »

Elle était terrorisée par la force de sa voix ; il lui parlait à présent du ton le plus menaçant, les narines tremblantes, les poings serrés.

« Viens ! souffla-t-il. Viens ! »

Il s’approcha encore, tenta de l’embrasser. Elle peinait à se défendre ; elle le repoussait pourtant, avec des gestes véhéments, que son désespoir rendait d’autant plus énergiques.

« Seigneur, murmurait-elle, pitié !… Non ! Non ! Partez ! »

Il s’interrompit. Il la dévisageait, et l’expression d’une colère intense, exacerbée par la frustration, passait sur son visage. Cependant il n’osait plus la toucher. Son refus l’avait intimidé ; il eut un instant l’impression d’avoir commis un sacrilège ; c’était comme s’il se fût retrouvé devant le courroux d’une fille des dieux, et eût craint d’être foudroyé.

Ils se considéraient. Un silence interminable s’appesantissait. Enfin, Godélor se ressaisit ; et, laissant cette fois-ci jaillir sa fureur véritablement, il cria, en balbutiant :

« Partir ? Ah ! Comment oses-tu ! Mais je suis chez moi ! Tout ici m’appartient ! Et toi aussi, tu es à moi ! »

Elle s’était reculée jusqu’au mur de la chambre ; la peur l’immobilisait ; elle le regardait les yeux béants, incapable de réagir. Il poursuivit, d’un air terrible :

« As-tu oublié que nous sommes mariés ? Tu croyais donc pouvoir profiter de mon nom, de mon héritage, sans rien m’offrir en retour ? Mais ta beauté devait être le prix de ces richesses ! T’en souviens-tu ? Tu m’avais promis sur l’autel ta virginité… Eh bien ! Si tu ne me l’offres pas, je la prendrai de force ! Tu n’auras pas impunément réveillé mes désirs ! Tes yeux profonds, ta pâleur, tes parfums n’ont que trop attisé ma soif. J’ai attendu par égard pour ton oncle… mais il faudra bien nous connaître ! »

Ceanna s’effondra, en pleurant. Il allait l’empoigner ; déjà, il levait ses mains puissantes. Elle poussa un hurlement et se recroquevilla pour se protéger, la tête entre les épaules, les deux bras repliés.

Mais le vieillard se retourna vers la porte, véhémentement, la face contractée par une indéfinissable aigreur. Son écuyer venait de pénétrer dans la chambre ; le jeune homme resta un moment atterré, puis dit, d’une voix pressante, sans quitter la vierge des yeux :

« Monseigneur, le Conseil ! »

Ceanna s’évanouit. Godélor coula un dernier regard dans sa direction ; puis, il jura et tourna les talons, la laissant abattue par terre.

« Les dieux te protègent, malheureuse ! Mais je les prierai pour que tu te soumettes ! »

Et il quitta la tour d’Ellinore.

Il traversa d’un pas précipité la place du Tangor, contourna le quartier de Lorymon, et longea la rue de Sulma, jusqu’au palais.

La garde à son arrivée ouvrit les portes du mur d’enceinte ; il franchit rapidement les propylées, les jardins, les escaliers, puis entra dans une salle ronde bordée de colonnes d’airain, entre lesquelles pendaient des tentures pourpres, moirées par les reflets de multiples flambeaux.

C’était la salle du Conseil, si vaste que les torches, ne pouvant l’éclairer tout entière, en laissaient de larges espaces dans la pénombre. Elle était située sous l’un des grands dômes du palais ; des fenêtres, au-dessus des piliers, étaient percées entre les voussoirs des arcs ; ces arcs supportaient une coupole, elle-même percée, en son sommet, d’une fenêtre circulaire protégée par un lanternon, au travers de laquelle on distinguait quelques étoiles.

La salle avait été bâtie de manière à symboliser l’univers dans sa totalité. Une mosaïque, au sol, représentait le monde souterrain des morts ; l’on y reconnaissait les sept portes d’or, la coupe de vie gardée par le divin cerf, les marais dans lesquels sont jetés les ossements des voleurs, la barque du nautonier fantôme, et le fleuve de couteaux ; et puis le champ des larmes, et toute une foule de démons, de dieux, de créatures. Les piliers figuraient le monde terrestre des vivants ; on avait placé devant chacun d’entre eux la statue d’un héros ; c’étaient Finán, Amorgen ou Éogan, qui vainquit le dragon ; ils portaient des casques avec des cimiers, des armures, et brandissaient leurs armes très fièrement, des lances, des haches, des épées ; les lueurs des flammes rougissaient les renflements des muscles ; mais leurs yeux rudes et graves, éteints, disparaissaient dans l’obscurité. Au-dessus, la coupole, dans laquelle étaient peints les astres et les planètes, évoquait le monde supérieur des dieux ; des niches, à l’intérieur desquelles on avait placé les bustes des divinités, étaient creusées entre les fenêtres.

Trois statues plus grandes que les autres, qui ressemblaient plutôt à des stèles, avec des figures horrifiques, étaient disposées en triangle, en avant du cercle des colonnes. Un fil très fin, brillant, semblable à une ligne d’argent, partait du sommet de l’une d’elles, faisait le tour de la pièce en passant devant les bustes dans les niches, et revenait à son point de départ. Ces statues personnifiaient le Temps, la Mort, l’Esprit ; et le fil, le destin qui les unissait, et s’imposait même aux plus puissants des dieux du ciel.

Au milieu de la colonnade, des sièges en ivoire, au dos desquels étaient gravés des noms en lettres d’or, entouraient une immense table ronde, en pierre d’onyx. Entre les sièges, en arrière des dossiers, des flambeaux brûlaient, enfoncés dans des socles d’airain.

Au centre de la table, il y avait une tête de mort. Les bosselures du crâne faisaient des taches ténébreuses, dont les contours tremblaient ; les parties saillantes luisaient ; les yeux avaient l’air de deux cavernes noires ; et la bouche restait figée dans un sourire hideux.

Les membres déjà présents, assis, demeuraient mutiques ; certains dardaient leurs prunelles sur le crâne obstinément, comme pour en pénétrer la profondeur. Des sièges étaient vides encore, dont celui du prince Varden.

Godélor tourna tout autour de la table avec tranquillité, tel qu’un vieux loup près de mourir, et s’assit dans un fauteuil. Aélig, son allié, un vassal du pays de Mordarën, entra derrière lui, et gagna son siège également.

« Qu’est-ce donc, seigneurs ? » demanda-t-il en montrant du visage la tête de mort, tandis qu’il prenait place.

Et il la contemplait avec dégoût.

« C’est Moïnn ! » répondit le chevalier Gaëlys, vassal de Fégara.

Sa voix résonna dans le silence.

« Moïnn ? répondit Aélig. Le cadet ?

— Moïnn ! reprit Gaëlys. Le cadet lui-même ! Le fils de Cinéad, le seigneur d’Aspallon ! Il a péri aux portes d’Aëldin… La révolte gronde, seigneurs ! »

On ne voulut pas le croire. Il y eut des cris d’indignation. Mais le chevalier, élevant la voix, ajouta que l’on avait eu tort de dédaigner les rumeurs.

« Car il n’est pas seul : Harald aussi a trouvé la mort, à Daguélor.

— Et qui nous dit que c’est Moïnn ? s’écria l’un des conseillers. Et non le crâne d’un squelette des catacombes, ou des fosses communes ?

— Parce que c’est un aigle qui nous l’apporta : un aigle à tête blanche ! »

Tout le monde se tut. Nul n’ignorait qu’il s’agissait là des messagers du roi Fergus.

« Non ! dit un vieil homme. C’est impossible, il est mort ! J’étais là, près de Felgar, quand il ordonna de le précipiter du haut des falaises. Tu mens ! Tu mens, n’est-ce pas ? »

Un brouhaha diffus, continuel, emplit la pièce, telle une eau. Une sourde angoisse avait saisi les cœurs. Le chevalier Gaëlys, pressé d’interrogations, finit par se lever ; et solennellement :

« Seigneurs, chevaliers de Carmora ! Vous en avez la preuve : il est de retour ! »

Comme fait exprès, une barrière nuageuse d’une insondable opacité, traversée d’illuminations grondantes, passa devant la lune, et une pénombre plus ténébreuse envahit la salle. Les torches vacillèrent.

« Les dieux n’ont point voulu du vaincu de Tullia ! Ils l’ont rejeté de leur palais ! Pour quelle raison, je l’ignore ; mais il laboure maintenant la campagne avec ses fidèles, et ne laisse derrière lui que des sillons sanglants ! »

Tous le dévisageaient, les yeux exorbités, la bouche bée, la gorge sèche. Alors, il écarta les bras, rejeta la tête en arrière et cria :

« La bête est sortie des cavernes de Goétila ! »

Un éclair tonna au ciel, dans un bruit effarant. Les regards se tournèrent en direction de la coupole ; et pendant un court instant, une lueur vive, blafarde, dévoila dans les ténèbres les visages affreusement pâles des chevaliers.

« Le roi de l’île, messeigneurs, a brandi son épée Talion ; elle a été brisée, mais elle fut reforgée. C’est elle, à coup sûr, qui trancha la nuque du pauvre Moïnn ! Fergus a retrouvé sa couronne ; il est devenu le Roi Vengeur ! »

L’angoisse où il maintenait les princes, les leudes et les thanes, le rendait lui-même plus véhément. Alors, poursuivant, il leur révéla tout ce qu’il connaissait des dernières nouvelles. La révolte avait commencé à la mort de Felgar. Harald, par deux fois, était sorti de Valmenhir. Il était mort au champ d’honneur.

« Mais on entendait rouler des gémissements dans les vagues de l’océan ; le roi Fergus criait depuis les profondeurs ! Ses hommes le libérèrent. Croyez-moi : il est plus vivant que jamais, plus terrible et plus furieux ! Il vole de triomphe en triomphe ! Fëlladan, le fils d’Harald, est notre dernier espoir ; mais il ne tiendra pas longtemps ! »

Il jeta un regard circulaire à l’assistance. C’était le royaume tout entier qui se trouvait menacé par les rebelles ; l’on ne pouvait demeurer sans rien faire ! Mais il faudrait bien la coalition de l’ensemble des terres pour vaincre le Vengeur, et donc, il fallait cesser de se diviser.

Il allait continuer son discours, échauffé par les clameurs de ses alliés, quand l’étoffe pourpre appendue entre les colonnes se releva, lentement ; et Varden parut.

Des rubans couleur de feu flottaient par-dessus sa tunique noire. Une chaînette en fer de Ruro retenait sa cape au niveau du col ; celle-ci frôlait les dalles derrière ses talons. Son visage maigre, considérablement vieilli, disparaissait presque sous l’épaisseur de sa barbe et la quantité de ses cheveux. Il ne s’était pas montré depuis des semaines, alité ; ses féaux croyaient au poison ; il avait l’air malade en effet.

Le désordre à son arrivée se calma ; et il dit, du ton impérieux d’un tyran :

« Cela suffit, Gaëlys. Chevaliers, rengainez vos lames, rangez vos cors ! Les bans ne seront point proclamés. L’ost ne sera point convoqué ! »

Ses prunelles formidables s’attachaient à chacun des hommes ; ils baissaient la tête.

« Quoi ? On viderait les casernes de leurs soldats, les villes de leurs garnisons, alors que les loups d’Ellëriën ravagent le pays, que les meurtriers courent les routes, que la révolte est à nos portes ? »

Cette dernière remarque avait provoqué quelques grondements autour de la table ; mais le prince reprit, plus fort :

« Ce Conseil meurt de ses divisions. Il est l’impuissance de la couronne ! Et il faudrait partir en guerre, comme au temps du roi mon frère ? Je connais des ennemis plus proches ! »

Ces mots soulevèrent, de nouveau, un concert de vociférations. On s’agita dans un tumulte unanime.

« Varden, tu nous provoques ! » cria l’un des fidèles de la reine.

Mais le prince du pays d’Ardan poursuivait, indifférent : le roi Fergus aurait bien des peines à reconquérir son royaume ; les cadets avaient déjà repris Valmenhir ! Vainqueur ou vaincu, il sortirait de cette guerre exsangue ; aussi, quel intérêt d’un affrontement ? Il fallait se résoudre, et laisser l’île au hasard supérieur de sa destinée.

« Ne courons pas de risques inutiles !

— Et les cadets ? l’interpella quelqu’un. Faudra-t-il les abandonner ? Ils sont nos fils !

— Eh, sacrifions-les ! Qu’ils prouvent leur valeur ! »

Il y eut des indignations, mais il les contint en haussant la voix extraordinairement. Il s’avança dans la lumière des flambeaux, et son apparence glaça les conseillers de stupeur. Il avait l’air d’un revenant. Les yeux écarquillés, les bras levés, l’âme exaltée, il dressa un tableau effroyable de l’état du royaume : les champs à l’abandon ! les ruines ! les maladies ! Sa cape en se soulevant donnait à son ombre, altérée par les flammes, et qui s’élevait derrière lui au long d’une colonne, l’allure d’un rapace immense.

« Êtes-vous donc aveugles ? C’est dehors le grand délabrement ! C’est la corruption, c’est la décadence ! Bientôt, Belgarod tombera, et elle entraînera dans sa chute les cités, les provinces, les pays ! Il vous faudra enterrer vos femmes et vos enfants ! Puis, les voleurs assiégeront vos beaux châteaux, ils vous égorgeront, ils pilleront vos biens, pendant que les chiens dévoreront vos cadavres ! Et vous parlez de rassembler l’ost ? Quand le crépuscule vous guette ! »

Les gens de la princesse tapaient des mains sur la table, afin de couvrir ses propos ; en même temps, ils cherchaient à crier plus haut, et d’autres, pour marquer leur mépris, haussaient les épaules, affectaient de rire, détournaient la tête. Mais le prince en avait terrorisé beaucoup par ses paroles ; lui-même d’ailleurs, devenu renfermé, se prenait à croire à ses propres prédictions, et un vertige étrange l’étourdissait.

Cependant sa face inébranlable restait figée en direction d’un fauteuil, en retrait de l’autre côté de la table, qui paraissait occupé par une ombre. C’était sa nièce, Fégara ; elle siégeait depuis le commencement de la réunion, mais n’avait pas encore pris la parole.

Elle se leva. Une couronne d’argent, sertie de pierres précieuses, maintenait autour de sa tête un voile bleu, prolongé d’un manteau long couleur de nuit. Deux nattes pendaient sur ses épaules, telles des colonnettes en bronze ; et son visage avait des contours plus anguleux que les statues dressées dans son dos. Maldar, à côté, roulait ses yeux gris, et son bras droit tremblait convulsivement.

Une averse battit la coupole ; le fracas, amplifié par l’écho, résonnait dans la rotonde. Le prince parut se voûter. Un lourd silence tomba.

« Comment oses-tu, murmura-t-elle, parler d’impuissance et de division ? Toi ! »

Ils se défiaient du regard ; la colère déformait les traits du prince.

« Tu parles de l’intérêt du royaume ? continua la fille de Felgar. De sa ruine ? Mais tu le dévasterais pour le gouverner seul ! »

Le vacarme de la pluie couvrit les molles protestations qui s’élevèrent.

« Ton fils Téagan, reprit-elle, et Dorán, le fils d’Aénor, ont quitté la ville au début de l’automne. On les vit s’embarquer au port d’Aëlys. Pourquoi ? Je me le demande !

— Est-ce vrai ? demanda Gilnaël. C’est une honte ! »

Aénor, indigné, s’était mis debout :

« Et qu’insinuez-vous, ma dame ?

— Que tu es un félon ! dit Thurien.

— Un traître ! » ajouta Gilnaël.

La rage de Varden l’étouffait. Il s’empourpra.

« Tout cela est faux ! » s’écria-t-il.

Il ne voulait pas dire la vérité ; il soutenait contre l’évidence qu’il s’agissait de calomnies ; sans doute on les avait confondus ?

« Tu mens ! le coupa Fégara. Avoue ! »

Mille témoins les avaient vus sortir de Belgarod, traverser le Milliland en sa diagonale, puis le fleuve Éadar au pont du Morland, et la campagne septentrionale du Mor Tawel.

« On affirme partout dans le royaume qu’ils ont passé le détroit ! Qu’ils se trouvent en ce moment même à l’île d’Alfällon !

— C’est une perfidie ! » hurla un chevalier de la reine, au milieu du tumulte.

Mais la princesse leva la main, et, tout en intimant le silence, continua de s’adresser à son oncle Varden :

« Qui sait, mon oncle, qui sait quel horrible dessein tu avais en tête, en laissant ton fils et celui d’Aénor courir de tels risques ? Dis-moi, dis-nous, seigneur : ont-ils déjà baisé les bagues du Vengeur ? »

Elle l’accusait de fomenter la révolte. Sûrement, il s’allierait avec les Alfälloniens ; en échange, ils prêteraient main-forte à la Ligue, quand elle assiégerait Belgarod. Il complotait contre la couronne !

Toute l’indignation accumulée éclata ; la cohue fut énorme. Les conseillers de Fégara ne pardonnaient pas au prince de les avoir tout à l’heure inquiétés par des paroles mensongères. Ils avaient cru à ses prophéties, ils se sentaient humiliés, blessés dans leur amour-propre ; par contrecoup, ils cherchaient maintenant à faire de Varden le responsable unique de toutes les fatalités, et voulaient se persuader que sa chute serait le meilleur moyen de les prévenir.

Lui se défendait tel qu’un grand fauve, et il excitait ses liges à le soutenir.

La dispute s’éparpilla en menaces, en injures, en emportements. Les crieurs sur les places, les marchands dans les foires n’eussent pas commis un vacarme plus assourdissant. Les deux partis, s’accusant des mêmes crimes inlassablement, s’excédaient toujours. Le ton montait ; il fallait crier pour se faire entendre ; on s’essoufflait dans les reproches.

« Traîtres ! disaient les alliés de Fégara. C’est contre le royaume que vous complotez ! Vous le perdrez par vos félonies !

— Menteurs ! hurla quelqu’un.

— Diffamateurs ! s’exclama un autre. C’est vous qui nous menez dans les ruines ! Vous nous dénigrez pour mieux nous déchirer !

— Ils nous accusent ! Eux, les parjures !

— Oui ! De nous empoisonner ! »

Tout le monde s’était levé. On bombait la poitrine afin de mieux s’invectiver.

« Lâches ! dit le seigneur d’Ellëriën. Appelez vos hommes ! Suivez-nous jusqu’à Valmenhir ! »

Cette idée déchaîna les approbations ; mais les autres répondaient :

« Fols ! Déments ! Insensés ! Le détroit serait votre tombeau ! Le dieu des mers est contre nous ! Vous vous briseriez contre les falaises de Tullia ! »

La confusion se poursuivit abondamment.

Cependant les torches faiblirent, peu à peu ; la nuit, au travers de la coupole, commençait de s’éclaircir. Les étoiles bientôt s’estompèrent et disparurent ; l’on vit passer des nuages roses, et les premières lueurs du jour se mirent à briller sur le rebord de l’oculus.

Les participants étaient brisés par la fatigue. L’aube leur montra que la réunion avait duré toute la nuit ; la lassitude apaisa leur colère. Ils ressentaient dans leur chair l’humidité des pluies intermittentes, qui s’étaient succédées depuis la veille ; ils tremblaient de froid, épuisés. Au fur et à mesure des heures, leurs voix avaient perdu des forces ; ils s’affrontaient faiblement à présent, et certains même somnolaient déjà, écroulés dans leurs fauteuils.

Des valets ouvrirent les portes, écartèrent les tentures ; le soleil souffla les flambeaux ; les dernières fumées s’élevèrent dans la clarté poudreuse de ses rayons d’or. Alors, sans s’être entendus sur rien, les conseillers se dispersèrent les uns après les autres, en se lançant des bravades :

« Les félons seront décapités !

— Et les menteurs, lapidés !

— Vous jouez avec le feu !

— Vous, vous brandissez des épouvantails ! »

Mais une fois dehors, ils ne pensaient plus qu’à retrouver leurs hôtels, et s’endormaient dans leurs litières.

Maldar, fou de rage, sortit précipitamment, talonné par son épouse. Il passa dans l’entrebâillement d’une porte étroite, monta quatre à quatre les marches d’un escalier grinçant, puis s’avança dans un corridor désert, long à perte de vue. Fégara courait pour le rattraper.

« Le traître, dit-il en marchant, a beau jeu de semer la discorde à Belgarod !

— Seigneur ! » répondit Fégara.

Elle lui prit la main. Il se retourna, et pendant un moment ils se contemplèrent l’un l’autre, sans rien dire.

« Tu t’emportes, reprit finalement la princesse. Mais tu n’as rien à craindre. Varden est de mon sang. Je trouverai les mots ! Et je le convaincrai de s’unir à nous, le temps d’affronter les armées du Vengeur ! »

Comme il doutait, elle cherchait à le rassurer :

« J’irai chercher ses féaux un à un : je les séduirai ! Eux seront sensibles aux périls du royaume, ils le forceront à changer d’avis. Alors, nous réunirons l’ost, traverserons la mer, et disperserons les armées du roi de l’île, comme jadis mon père, à Tullia. »

Il voulait s’échapper, mais elle le retenait. Et, dardant plus profondément ses prunelles dans les siennes :

« Tu mèneras nos hommes. Mon oncle est faible, il te laissera commander. Songe, songe que ce sera ta campagne la plus illustre ! »

Il tremblait ; elle pressait ses doigts pour qu’il s’affermisse.

« Fergus te défiera ? poursuivit-elle. Tu porteras ma bannière au front de nos chevaliers ! La bataille que tu lui livreras te vaudra la gloire ! Ce sera ton triomphe !

— Non ! Es-tu folle ? C’est un spectre ! J’y laisserai ma vie !

— Et alors ? Puisque ton nom sera devenu immortel ! Puisque tu entreras au palais des dieux ! Puisque tu prendras place au banquet des héros, les guerriers braves qui sont morts au combat ! Et l’éternité se passera pour toi en délices éternelles ! »

Le jour se découvrant éclaircissait dans tous ses replis le visage hideux du prince. Il détourna la tête, poussa un profond soupir et répondit, en s’écartant :

« Comme j’aimerais te croire ! »

Elle voulut le contredire ; il la devança, et d’un ton brusque :

« Mais tu aimes trop ton oncle !

— Moi ! » s’écria-t-elle.

Comment pouvait-il douter de ses sentiments, après tout ce qu’ils avaient fait ? Et elle se vanta d’abhorrer Varden, trouvant d’ignobles arguments, indignée par l’outrage qu’il lui faisait. Maldar lui coupa la parole :

« Tu l’as toujours protégé ! »

D’abord, elle avait suivi l’exhortation de Mellëador. Elle avait institué le Conseil, elle avait admis son oncle autour de la table. Ç’avait été une faiblesse : elle aurait dû se défendre ! Jamais il n’eût gagné la guerre ! Elle avait douté de ses droits, peut-être ? Ensuite, elle avait toujours montré une mauvaise volonté à user contre lui des charmes de la sorcière. Et maintenant, elle cherchait à le raisonner, quand il était pourtant clair que c’était inutile.

« Tu restes aveugle à son jeu pervers, ajouta-t-il, obstinément ! Sais-tu pourquoi il s’oppose ? Il laissera s’accumuler les ruines, et les morts sur les ruines ; puis, il te contraindra de les contempler jusqu’à la nausée, pour te faire abdiquer ! Admets-le, enfin ! une couronne ne se partage pas. Ce doit être lui ou ce doit être nous !

— Et que faire, donc ? » rétorqua Fégara, ébranlée par le discours du prince.

Elle le dévisageait.

« Si j’osais… » balbutia-t-il.

Il remuait les lèvres, cherchait ses mots. Il dit, dans un souffle :

« Le poison ! »

Elle se recula, blême, comme surprise par la vision d’un fantôme.

« Comment ? Dois-je comprendre ?… »

Le prince baissait les yeux.

« Au nom des dieux, poursuivit-elle, tu m’avoues qu’elle est encore ici ? Que tu la vois toujours ? — mais je t’avais ordonné de la chasser ! mais tu m’avais juré l’avoir chassée ! Tu m’as menti ! »

Il voulut s’approcher ; elle lui tourna le dos, les épaules secouées par des sanglots muets.

Depuis que Lobélia était sortie des Mines à sa propre demande, elle n’avait cessé de séduire Maldar, puis de le pervertir à force de sorcellerie, lui qui pourtant s’était d’abord opposé à sa venue. Jalouse à en tomber malade, la princesse s’était répandue en injures contre l’enchanteresse : elle n’avait pas trouvé de mots assez durs pour la rabaisser ; puis, elle avait querellé le prince, l’accusant de perdre la raison, de succomber à ses tentations, de se vautrer dans la débauche. Elle avait épié ses moindres mouvements ; chaque fois qu’il lui avait échappé, elle l’avait interrogé avec colère, sans même entendre ses justifications. Désespérée, elle avait finalement cherché à regagner l’amour de son époux, qui s’éloignait d’elle de plus en plus ; mais elle avait déployé en vain les artifices de sa séduction. Alors, dans un épanchement soudain, elle avait tout avoué à Métélès. Le grand-prêtre, terrorisé à l’idée de mourir empoisonné, trouvant là une occasion unique de contrarier Lobélia, lui avait donné des philtres, des mets et des parfums aux vertus aphrodisiaques, afin de l’aider à reconquérir le prince d’Iscarod. Elle s’était jetée encore une fois dans ses bras ; elle s’était montrée à lui belle, pure, éclatante ; et, enfin, elle avait réussi à lui arracher la promesse qu’il bannirait la sorcière.

Elle apprenait ce soir qu’il avait menti.

« Tu étais si fier quand je t’ai connu ! dit-elle. Amoureux ! Brave ! Honorable ! Tu t’étais illustré aux combats ! Ta parole valait de l’or ! Ton âme était pure ! Non, ne baisse plus les yeux ! »

Elle s’avança vers lui froidement, toute majestueuse par le calme maintien dans lequel sa colère se contenait encore.

« Si tu trouves en ton cœur un dernier reste d’honneur, alors écoute-moi : ton âme a noirci ! Tu rêves peut-être de la gloire ? Mais tu la touchais presque !… Ah ! Que t’a-t-elle promis, que moi, je n’ai pu t’offrir ? Un sublime destin ? Des prouesses à te rendre héros, des victoires dignes des monarques, ou la puissance d’un dieu ? Eh bien ! Sais-tu que l’on te dit infidèle, couard, et que ton nom est moqué jusqu’aux montagnes des Faëlins ? Et j’apprends aujourd’hui que même ta parole ne vaut plus rien, toi dont elle valait si cher ! »

Elle se tut, et se mit à l’observer de l’air le plus méprisant. Comme le prince ne répondait rien, elle reprit, cassante :

« Malheureux ! Tu te crois riche ? Puissant ? Appelé à de grandes choses ? Mais ta vanité est à la hauteur de ta misère ! Tu n’es qu’un homme ! »

Elle retint ses larmes de justesse. Le souffle court, elle s’appuya contre un pilier ; et, suffoquant de dépit, de haine et de jalousie :

« Perfide ! Vaniteux ! Maudit !… Profite bien de ton court passage ici-bas ! — car ta dernière heure ne sonnera que pour avertir les flammes de ton arrivée chez elles ! »

Et elle le quitta pour de bon, en pleurant.

Maldar, engourdi par la fatigue, souffrait de cette morsure infligée à sa vanité, et cela excitait sa colère.

Il hésitait à la poursuivre ou à s’en aller. Il parcourut finalement le reste du couloir, descendit un nouvel escalier, puis traversa une petite cour plantée de sapins, qui menait à l’aile du palais où il demeurait.

La pluie de la veille avait lavé les coupoles ; la lumière de l’aurore s’y étalait en crépitements rouges ; les rayons du soleil levant, qui glissaient par-dessus en brumes de feu, dégageaient peu à peu la ville de la pénombre.

Maldar entra dans sa chambre. Elle était vaste ; d’énormes colonnes à torsades, dressées à intervalles réguliers, soutenaient les entablements. Les rideaux étaient tirés, mais on avait laissé les fenêtres grandes ouvertes ; le vent glacial du matin les agitait d’amples bouffissures, comme s’ils respiraient. Le prince frissonna.

La pensée de se retrouver seul l’oppressait ; cependant un mouvement, dans l’ombre, attira son regard. Une femme nue surgit d’un recoin, caché par l’ombre d’un pilier. Elle avait la peau blanche, le visage fin, les yeux verts ; ses cheveux répandus glissaient contre son corps qui se balançait.

« Tu as froid, seigneur ? » demanda-t-elle en s’approchant.

Et, l’embrassant d’un large geste des bras, elle se pendit à son cou.

Sa chaleur apaisait le prince ; elle était légère comme un collier de feuilles parfumées au miel. Plus il la comparait à Fégara, plus il haïssait la princesse.

Elle se libéra, le tira vers elle en le prenant par la main, puis l’entraîna en direction du lit. Il la suivait la tête pleine de brouillard. La magicienne, dans sa conscience, vivait en dehors d’un monde où il était retenu prisonnier, lui, comme un poisson dans un bassin. Elle avait l’air de flotter hors d’un mur invisible et qui les séparait. Elle l’hypnotisait par les ondulations chaloupées de ses hanches.

« Suis-moi, soufflait-elle, viens… »

Il lui obéissait involontairement.

Elle le coucha dans un lit, sur le dos, et s’étendit tout du long à son côté. Des larmes coulaient contre les joues grisâtres du prince, dans les sillons de ses rides.

« Dis-moi ce qui te tourmente, seigneur, chuchota Lobélia dans son oreille.

— C’est Fégara ! Elle me rend la vie impossible ! C’est à croire qu’elle veut me perdre ! Qu’elle travaille avec son oncle à m’empêcher de briller, pour mieux me dénigrer ! »

La haine lui brûlait le cœur. Il ajouta, la gorge palpitante :

« Tout est de sa faute ! »

La magicienne lui caressait la poitrine.

« Non ! répondit-elle. Tu te trompes ! »

Maldar, se redressant, l’interrogea du regard. Elle connaissait peut-être des secrets qu’il ignorait ? Mais elle dit simplement :

« C’est Varden ! »

Bien que le soleil fût déjà haut, des ténèbres persistantes obscurcissaient la chambre ; les rideaux continuaient de respirer lentement, gonflés par le souffle régulier du vent.

« Eh bien ! balbutia Maldar piteusement, fais ce qu’il faut faire !… Je ne veux rien savoir ! Oh ! Épargne-moi, je t’en supplie ! Je ne veux rien savoir !… »