Les Chants de Carmora


 

CHANT X

LE VOYAGE DE DORÁN ET DE TÉAGAN

 

Trois jours après, Dorán et Téagan quittaient Belgarod, en tenant par la bride leurs chevaux chargés de bagages.

Ils s’en allèrent avant le lever du soleil. Pour tromper les espions, ils marchèrent jusqu’à l’aube en direction du nord-est, à l’opposé de leur destination véritable.

Le jour parut dans un brouillard épais comme une laine. Des nappes de brume, répandues dans la campagne, passaient en silence entre les élévations des collines. Dorán, trois pas seulement derrière Téagan, ne le voyait pas ; il n’entendait que le martèlement régulier de ses bottes, et le frottement des bagages contre les flancs des bêtes.

La brume peu à peu se lacéra, se défit, et se dissipa dans la montée du soleil. Le paysage s’agrandit jusqu’à se découvrir entièrement. Aux bords du chemin, c’étaient des mamelons recouverts par des flots d’herbes, balancées dans les mouvements de l’air, couchées par les rafales intermittentes. Les cirses, les chardons, les potentilles, poussant parmi les touffes égarées, faisaient tantôt des salissures dans les bordures, tantôt des éclaboussures de couleurs. Les souffles du vent ébranlaient les grandes pointes des conifères épars, ayant crû par bandes au hasard de la nature ; et de grosses pierres blanches, rondes comme des galets, semblaient des moutons égarés. Au loin, vers le nord, la lisière du bois de Fëarna paraissait une longue muraille noire, qui ondulait avec les courbures du sol.

Dorán, la tête penchée contre la poitrine, marchait en flottant, comme on se laisse porter dans un rêve où la conscience s’évapore. Le froid le pâlissait davantage ; il grelottait des lèvres ; des gouttes perlaient des poils de sa fourrure.

À peine si Téagan lui adressait la parole ; son visage allongé n’exprimait rien qu’une sorte d’ennui supérieur ; il gardait les yeux toujours à demi clos, et la bouche obstinément pincée dans un froncement d’orgueil. Tout son être transpirait la vanité.

Trop de différences les opposaient. Téagan était né à Valgarod. Varden, qui rêvait d’une ample descendance mais n’avait jamais pu concevoir d’autre fils, l’avait élevé mieux qu’un prince, comme l’aîné d’un roi. À sept ans, il montait à cheval ; à huit ans, il maniait l’épée ; à dix ans, il soulevait sa première lance ; à douze ans, il était le valet, puis l’écuyer de Felgar. Le grand monarque lui apprenait la chasse personnellement, et ils s’exerçaient ensemble contre les élans blancs des bois du royaume. À vingt ans, il était adoubé par son père. Il l’avait chéri, choyé, protégé tel qu’un trésor d’une valeur inestimable ; il avait refusé de l’emmener avec lui, au moment de Tullia ; et c’était surtout pour le préserver des poisons, qu’il l’envoyait si loin de Belgarod.

Le père de Dorán était prince également ; mais prince vassal de Varden, et son pays semblait un jardin, à côté de la puissante terre du pays d’Ardan. Il y avait un gouffre entre leurs fortunes. Rien que les fibules de Téagan, en or, valaient des sommes considérables ; sa tunique de soie était décorée non seulement de broderies, mais de galons tissés en damier, avec des fils d’or et d’argent ; puis les couturiers avaient orné sa cape de spirales de bronze, et elle était matelassée de duvet.

Téagan, d’habitude, s’épanchait abondamment. Il se vantait d’accomplir toutes sortes d’exploits dans les tournois ; chaque fois qu’il revenait de la chasse, il racontait ses prouesses interminablement, d’une verve de hâbleur. Quand il avait bu, il dénombrait sans fin les richesses de sa maison, et les distribuait à grandes largesses, non par charité, mais par fatuité. En même temps, il promettait publiquement à ses courtisans toutes les charges, toutes les terres et tous les honneurs, pour le jour de son sacre. Il admirait son père, et voulait qu’on l’admire comme son père. Alors, l’indifférence de Dorán, son mutisme l’agaçaient extraordinairement. Cet homme pâle, aux yeux tristes, ne semblait pas même s’apercevoir de sa présence ! Et, pour se cacher les vraies raisons de sa colère, il se persuadait que c’était une humiliation terrible, que de voyager avec le fils du vassal de son père.

Cependant les jours se passaient. Le surlendemain de leur départ, ils tournèrent brusquement au sud, après avoir contourné un bosquet de sapins. Ils entrèrent à l’intérieur d’une vallée, et se retrouvèrent parmi de longues plaines montant et redescendant en flexuosités douces, tapissées d’une herbe courte et touffue, semblable à de la mousse.

Il y avait des rivières dans les creux étalés comme des lacs. Ils apercevaient parfois, sur les sommets des plateaux, des bâtiments longs et larges, en forme de bateau renversé ; autour, de grands poteaux creusés dans le sol soutenaient des toits de tuiles, qui miroitaient lorsque le soleil les illuminait, après les averses répétées, énormes mais brèves. Des moutons broutaient sur les flancs des mamelons. Des gens dispersés les considéraient ; quand les chevaliers s’approchaient, ils rentraient précipitamment ; ou bien ils se réunissaient, croisaient les bras, et de loin les regardaient passer, en silence.

Après quatre nouveaux jours, ils s’enfoncèrent dans une nouvelle vallée bordée d’immenses falaises, blanches, noires par endroits. Ils se crurent perdus. Ils allaient revenir en arrière, quand ils entendirent l’écho d’un bruit grave, quoique léger, telle une lourde étoffe que l’on secoue par une fenêtre : c’était l’Idir. Ils sortirent tout à coup, entre deux avancées rocheuses, du couloir de pierre dans lequel ils s’étaient engagés, et parvinrent à une plaine menant jusqu’au bord d’un fleuve monumental. Il était bleu gris à cause des nuages, et s’écoulait pesamment, dans un grondement écrasant, invariable et perpétuel. Les rives avaient l’air de s’être écartées pour le laisser passer. De l’autre côté, des bois montaient en pente douce, et la crête de l’élévation s’évanouissait sous des amas de brume, qui là aussi avaient l’air de couler du ciel.

« Seigneur, dit Dorán en pointant du doigt quelque chose. Le pont du Mordaland ! »

Téagan regarda dans la direction qu’il indiquait.

« En avant », murmura-t-il.

Le pont, gigantesque, comptait quatre-vingt-dix piliers, autant d’arches ; deux barbacanes en défendaient l’entrée ; des tours, avec des mâchicoulis, des créneaux, des meurtrières, l’enjambaient d’espace en espace ; et des avant-becs en pointe, crénelés, adossés aux piliers, fendaient les flots qui écumaient sous les arches, en rugissant.

Ils payèrent le péage d’un montant exorbitant, et traversèrent le fleuve. Ils venaient de pénétrer au Milliland, la terre du seigneur Martel.

Alors, suivant la route, ils gravirent le coteau qui longeait l’autre rive.

Le ciel blanc, abaissé jusqu’à terre, se confondait avec les morceaux du brouillard, qui s’accrochaient au sommet du plateau en vastes déchirures. Quand ils se dispersèrent, les chevaliers se retrouvèrent en face d’une étendue d’herbe rase, piquetée de graminées, avec des tas de lichens faisant des buissons de fleurs blanches. Au loin, des bandes de neige, depuis leurs cimes immaculées, s’écoulaient contre les flancs des montagnes de granit ; vers le sud, des rennes, à demi enfoncés dans la brume, erraient les uns derrière les autres ; et des moutons, ramassés dans les trous de lumière créés par les écartements des nuages, broutaient l’herbe sans bruit.

Ils entamèrent d’un pas rapide le passage du plateau. Ils mangeaient les provisions de leurs bagages, des fruits secs essentiellement, des pains, des viandes, ou bien ils cueillaient des fruits dans les arbres, au bord des chemins ; le soir, ils dépliaient leurs tentes, là où la terre était la plus molle, et l’herbe la plus épaisse. Puis ils s’endormaient, chacun d’un côté, le dos tourné, sans un regard pour les étoiles.

Les pluies, qui souvent débordaient des nuages, redoublaient l’exaspération de Téagan. Pourquoi Dorán ne cherchait-il point son amitié, dans l’espoir au moins d’en faire son profit ? Il multipliait pourtant les allusions, il ne cachait rien de sa fortune ; qu’était-ce donc qui le pouvait préoccuper davantage ? Il se rappelait ses courtisans, leurs bassesses, leur hypocrisie, qui le rendaient si supérieur, lui ; et blessé dans son amour-propre, jaloux, au fond, du sublime désintéressement de Dorán, il ne le considérait qu’avec colère, et demeurait d’une froideur de glace.

Mais la terre dure s’étalait agréablement ; le vent les transportait. Ils dépassèrent le plateau en quelques jours, puis contournèrent un lac épandu ridé d’une faible brise. Le jour suivant, ils arrivèrent à une plaine clairsemée de hauts sapins ; à leurs pieds, des arbustes, aux coups du vent, agitaient toutes leurs fleurs en frémissant ; l’herbe, plus dense qu’une fourrure, était souple comme une toison, mais des chardons s’accrochaient aux ourlets des capes. Un petit mont, au loin, juché sur une élévation naturelle, ressemblait à un volcan ; et des vapeurs blanchâtres, qui venaient s’écraser contre ses parois, l’environnaient d’une brume jusqu’au sommet.

La tristesse de Dorán s’atténuait un peu tandis qu’il s’éloignait de Belgarod ; ses yeux étaient moins vagues, et même il chantonnait, parfois, quand il faisait beau. Cela apaisait un peu le ressentiment de Téagan. Mais il y avait toujours entre eux comme une surface incalculable, que maintenait l’amertume du fils de Varden.

« Tu ne m’aimes point ? » lui demanda-t-il un soir, sans autre façon.

On entendait seulement la crépitation du feu dans la nuit, et le brame sporadique d’un cerf, à une distance lointaine.

« C’est toi qui m’ignores obstinément, répondit Dorán. Tu es plein d’orgueil, comme un dieu sur son trône d’or, assis parmi les nuages. »

Et il s’endormit, paisiblement.

« Un dieu ! » pensa Téagan.

Les journées se poursuivirent. Téagan ne concevait point qu’un homme qui ne se fût déclaré comme un ennemi pût lui faire des reproches, puis se coucher si placidement. Il le soupçonna d’abord d’avoir un protecteur dont il taisait le nom, un génie, un esprit, peut-être même Varden, son propre père ? Ensuite, il admira son courage, car il l’eût tué certainement, s’il l’avait défié ; puis il appréciait son honnêteté, se disant que toute vérité était bonne à prendre, et qu’il n’en trouverait jamais chez ses fidèles. Il finit par rabaisser sa morgue, et, petit à petit, se rapprocha de Dorán. Celui-ci, sans chercher à l’inciter par des flatteries, répondait favorablement à ses prévenances nouvelles ; alors, Téagan prit comme un motif nouveau d’orgueil le fait de s’attacher l’amitié de ce cœur supérieurement noble, et il éprouva, enfin, une affection sincère pour le fils d’Aénor. Une amitié germa entre eux ; elle s’épanouit l’air de rien, telle qu’un grand nénuphar porté par le courant, dans la longueur du voyage.

La terre du Milliland, passé les hauteurs des Galles, était verte généralement, presque sans bois, mais toute baignée par les lueurs du soleil tiède ; des oiseaux volaient parmi les herbes, grasses, tendres, pleines de senteurs. Les buissons d’ajoncs ressemblaient à des tas d’or ; des bruyères pourpres violaçaient les flancs des collines, en s’étalant ; d’autres fleurs, vastes, étaient déployées dans les creux des hauteurs, avec des pétales gigantesques et tout en rond, qui faisaient comme des petites queues de paon, et dont les cœurs figuraient des yeux d’animaux.

Ils passèrent des plaines découpées en bocages ; puis ils arrivèrent à une vaste lande, par-dessus laquelle couraient, pareils à des fissures sur du marbre, des murets en calcaire qui formaient des enclos, éparpillés au hasard. À l’intérieur, des moutons, des brebis paissaient en bêlant, debout la tête basse, allongés parfois dans l’herbe, et ils semblaient de petits amoncellements d’écume de mer. Ils rencontrèrent là une femme de la force d’un homme, vêtue d’une longue blouse en laine, avec une écharpe sur la tête ; elle menait un troupeau de bœufs à l’aide d’une longue lanière, et criait pour les faire avancer.

Les chevaliers marchaient côte à côte, à présent. La route glissait entre des mamelons qui se prolongeaient, flottants, clairs, obscurs aussi dans la singulière pénombre du soir couchant. Téagan, au bord des coteaux qui dominaient la campagne incommensurable, ouvrait les bras, songeait qu’il la possédait, et, transporté d’enthousiasme, montait sur son cheval et s’en allait vers le soleil, au grand galop, comme s’il espérait gagner la mer avant la tombée de la nuit. Le plus souvent, à force de pérorer, il finissait comme son père par éclater en discours furieux, conquérants, volubiles. Dorán l’écoutait impassiblement. Et, quand Téagan l’interrogeait, il lui parlait de son enfance.

Il était né au pays de Dorinessa, à Dunabel. Trop jeune pour accompagner l’ost en pays d’Alfällon, au temps de la conquête, il était resté au palais avec sa mère, où il avait appris à composer des chansons. Un jour, son père, en rendant la justice, avait condamné une femme à la pendaison ; lui, qui la trouvait belle, avait composé un hymne à sa mémoire ; aujourd’hui encore, on la chantait partout dans son pays, sans savoir qu’il en était l’auteur.

Téagan aimait de mieux en mieux ce fils de vassal. Il n’avait jamais connu que le sentiment intéressé, l’amour qui ne s’attache qu’à l’or ; il découvrait l’amitié franche et loyale, nue, dépouillée de l’hypocrisie des flatteurs.

Dorán avait gardé de son père quelque chose de sa droiture excessive ; il était sincère et libéral ; il ne se souciait que des vertus de Téagan.

Les chevaliers, après avoir franchi un petit massif, débouchèrent sur une étendue où se succédaient des champs d’orge. De riches propriétés, en pierre, bordaient la route à des intervalles réguliers ; c’étaient des masses de granit avec des tours et des murailles, perchées sur les collines arrondies telles des poitrines de femme, toutes roses du crépuscule ; en contrebas, des vaches beuglaient dans la fraîcheur du soir. Le jour, des hommes pêchaient des saumons dans les ruisseaux.

Leur périple s’étendait. Ils montaient des tertres, descendaient des vallées, pénétraient dans des bois d’épicéas, parfois sans que même une journée ne se fût écoulée. Ils s’arrêtaient au bord des lacs, où des eiders oscillaient tranquillement parmi les roseaux. Par moments, ils pataugeaient pendant des jours au milieu de tourbières gigantesques entourées de forêts, ou de marécages recouverts de brouillard. Ou bien ils traversaient des prairies jonchées de fougères et parsemées de gentianes, qui, de loin, paraissaient des amas de papillons.

Ils dépassèrent les galeries de Lyras, en ruine, étouffées par le lierre, pleines de statues mutilées ; elles prophétisaient, par leur silence même, la mort des royaumes qui se croient éternels. Ils reconnurent quelques pas plus loin un amphithéâtre éboulé, un hippodrome et les débris d’un temple, envahis d’une verdure clairsemée ; des corbeaux voletaient d’une arche à l’autre, d’autres décrivaient des cercles lents par-dessus les mornes écroulements des pierres.

Les vallons suivaient les vallons, entre les collines à crête que la roche déchirait sur le sommet. Le ciel se couvrit ; mais quand un rayon perçait les nuages, il dorait les flancs des coteaux, et les buissons s’agitaient de plaisir.

Téagan racontait à Dorán comment, dans son pays, les mères donnaient à baiser aux nouveaux-nés des lames trempées dans du sang de loup, pour leur donner le goût de la mort ; et ses souvenirs de chasse, les courses éperdues entre les cris des cors et ceux des dogues, les chevaux écumants, les épieux jetés dans la bête, au crépuscule. Quelquefois, d’une voix plus basse, il évoquait ses parents. Sa mère d’abord, une dame austère toujours en prière, les mains jointes, les cheveux voilés ; quand elle s’agenouillait, sa robe jaune s’étalait par terre, et elle semblait une statue tout en or en train de fondre au sol. Puis son père, le prince Varden ; quatre décennies plus tôt, à quatorze ans, à la bataille de Fynonell, il avait vu le roi son père — Fallëgar — ceinturé d’ennemis, au sommet d’une colline ; tout le monde avait fui pour sauver sa vie, mais lui, le prince de sang, il avait accouru pour le secourir. Il n’avait pas assez de force encore pour soulever une épée ; il s’était précipité quand même à ses côtés, seulement protégé de ses bras, et il criait : « Père, à droite ! Père, à gauche ! » pour le prévenir ; ç’avait été la première de ses prouesses indénombrables !

Alors, il semblait à Téagan qu’il disparaissait sous l’ombre énorme de Varden ; il s’interrompait, pressait les flancs de son cheval et partait au petit trot, en soupirant.

Il se consolait en envisageant ce qu’il ferait quand il porterait la couronne. Il avait des ambitions d’empereur ! Il réunirait la plus grande armée que le monde eût jamais connue, puis se battrait jusqu’à la paix totale et universelle, gagnant son titre dans ses victoires, sa gloire dans ses faits d’armes. Il ordonnerait l’élévation de statues, de colonnes, et d’un arc du triomphe trois fois plus haut que celui de Belgarod. Afin de plaire aux dieux, il bâtirait un temple aux proportions démesurées. Il promettait à Dorán qu’il le ferait grand prince des pays du sud, certain de le contenter, parce qu’il ne croyait que dans le bonheur par la possession ; et il lui offrait déjà des terres, des palais, des bijoux, des vierges à s’en étourdir, avant de retomber, soudainement, dans un mutisme de philosophe.

Dorán, laconique, triste de nouveau, balancé mollement par le pas de son cheval, s’abîmait dans la contemplation des perspectives immenses, l’âme déchirée de regrets. Souvent il sentait lui venir des larmes, et détournait la tête. Puis, à force d’entendre Téagan, il commença de desserrer les lèvres un peu plus. Il lui parlait pour se distraire des choses de la nature ; il connaissait les plantes, les arbres et les animaux ; il accordait sa lyre au chant des oiseaux.

Le soir, aux clartés frêles des feux mourants, il chantait les récits des rois nomades, Déimède, Calydraste, Nérélos et Pallarion ; il contait la guerre de Carona, la délivrance de Cilian, la mort de Dvallen :

« La nuit par les cieux déployait son manteau noir ; les ténèbres envahissaient les ombres paisibles du jour ; l’air était plein d’échos, la campagne pleine d’esprits ; et quand éclatait le tonnerre, les nuages tout à coup s’illuminaient, et les rochers se déchiraient. Dvallen, entouré d’ennemis, soufflait dans son cor ! »

Puis il disait, la voix brisée par l’émotion, l’histoire d’Elyana, qui aima jusqu’à la mort le prince de Dyrann-Ast, Daínn, fils de Semo :

« Elyana, tu as passé dans la nuit du monde comme une comète, à la fois belle et souveraine ! Tu brillais d’une course blonde, qui laissait derrière elle un sillage d’or précieux ! Mais tu abandonnas Daínn à son désespoir, et tu berces maintenant le ciel obscur ! »

Tout cela se mêlait aux mélodies des cordes ; Téagan, allongé sur le dos, l’écoutait les yeux fermés. Il songeait à la brièveté de la vie ; et il s’endormait au bercement de ces grands poèmes, un peu triste, comme quand, dans les vapeurs du soir, lui échappait un cerf qu’il avait poursuivi depuis le début du jour.

Après les hauteurs de Tobarín, un petit sentier, à peine assez large pour deux hommes, sinuait entre des flaques bourbeuses. Des touffes de longues paleines, penchées par-dessus les bords, glissaient en frémissant contre les jambes des chevaux. Les mares exhalaient des odeurs pestilentielles ; des moustiques bourdonnaient dans les oreilles ; le soleil pâlissait à peine les ombres.

« C’est un lieu pour les sorcières », murmura Téagan.

Ils parlaient moins ; une inquiétude les prenait ; ils craignaient de devoir retourner sur leurs pas. Enfin, le quatrième jour, l’air se dégagea, et ils virent devant eux des bandes de roche escarpée, parsemées d’excroissances alternativement blanches et noires ; elles conduisaient à un canyon avec des parois pierreuses, hautes comme des donjons ; ils devaient marcher en s’appuyant contre les renflements pour ne point glisser ; des courants d’air glacials passaient autour d’eux, en sifflant.

Cette vallée donnait sur une étendue balayée par les vents, et dépouillée de végétation. La terre blanche paraissait couverte de givre. Les rafales projetaient, par accès, des gifles d’embruns. Le terrain de l’autre côté devenait plus accidenté, avec des tas de ronces répandus entre des rochers verts de mousse. Le vent soufflait moins fort. Au loin, en direction de la mer, des montagnes apparaissaient en ligne inégale.

Dorán, un matin, s’arrêta soudain.

« Tu entends ? dit-il.

— J’entends comme un roulement de tambour, répondit Téagan.

— C’est le fleuve ! reprit Dorán. C’est l’Éadar ! »

Quelques heures plus tard, ils étaient sur les rives d’un fleuve énorme, dont la largeur doublait au moins celle de l’Idir. Il s’écoulait vers l’océan tel qu’un ruban d’argent, mais de l’envergure d’une petite mer. Des nuages trempaient dans son eau leurs ventres troubles.

Ils le traversèrent au pont du Morland sans encombre, et pénétrèrent au pays de Mor Tawel, où se trouvait le port d’Aëlys.

Les terres, après le fleuve, étaient plus accidentées, et les sapins y poussaient abondamment ; ils empruntèrent un étroit chemin au bord duquel il y avait des cerisiers sauvages, et des sortes d’arbustes qui émergeaient bizarrement des fougères.

Le vent généralement était coupé par les arbres ; mais les nuées au ciel roulaient à toute allure ; et le soleil épandait entre leurs passages des éclaircies flambantes, qui illuminaient tout d’un coup les clairières, les coteaux, les sommets des collines.

Les chevaliers se mettaient en marche dès l’aube ; le soir, ils attachaient leurs chevaux, dépliaient leurs tentes et bavardaient des mêmes choses, en regardant les étoiles.

Leurs conversations, pourtant, depuis le passage de l’Éadar, était entrecoupées plus fréquemment par de longs silences. Dorán surtout redevenait mélancolique. Il gardait la nuit les yeux ouverts, bien après que la lune eût paru par-dessus les découpures noires des conifères. Et il restait quelquefois sans dormir jusqu’à la venue de l’aurore.

Après quelques jours, ils tournèrent brusquement à l’ouest, le chemin remonta, et ils sortirent de la forêt. En contrebas, de nouvelles collines s’étendaient à perte de vue, avec des rangées d’arbres qui séparaient des prairies, et des clôtures de bois au long des routes. Des moutons éparpillés broutaient délicieusement la végétation, humide et fraîche, qui dégageait des odeurs terreuses. Une très longue chaîne de montagnes, au nord-ouest, protégeait ces prairies des embruns continuels du Pocéide. Ils les suivaient de loin ; leurs hauteurs bleues faisaient comme la dorsale d’un dragon immense, couché sur la ligne de l’horizon. Une petite colonne de nuages, venue des tempêtes océaniques, passait de temps en temps la barrière des monts ; elle s’élargissait progressivement, tel un drap que l’on déplie, et dégorgeait bientôt en une pluie drue, traversée par de larges arcs-en-ciel.

« Nous ne sommes plus très loin de la cité d’Aëlys », dit Téagan.

Ils marchèrent encore toute la journée, puis s’arrêtèrent au pied d’un arbousier, derrière un rocher dressé comme un menhir. Le ciel était clair ; le soleil se coucha, la nuit tomba.

Dorán, croyant Téagan endormi, se leva et partit dans la campagne ; puis il s’assit près d’une rivière, et récita, encore, l’histoire d’Erevan et de Finnén. Mais Téagan entendait sa voix s’élever dans la pénombre ; il vint.

Dorán chantait pour lui-même, faiblement, la tête penchée contre la poitrine ; la lune argentait les boucles noires de ses cheveux ; les scintillements de la rivière faisaient des points blancs dans l’opacité de ses prunelles.

« Tu es triste ! lui dit Téagan. À quoi tu penses ?

— Je chante, répondit-il, c’est tout. Laisse-moi ! J’ai besoin de solitude. »

Mais Téagan insistait :

« Tu souffres ! Ce n’est point Finnén que tu pleures, n’est-ce pas ? »

Dorán frissonna ; puis il se retourna, et, jetant vers son ami un regard qui le bouleversa :

« Ah ! Tu ne peux même pas imaginer comme elle me tourmente ! »

Alors, par besoin de s’épancher, il avoua tout : les premiers regards, au moment du tournoi du Champ-des-Lys, et les rencontres secrètes au fond des jardins ; la séparation, la torture de l’éloignement ; à Dorinessa, les rêves désespérants, les visions trompeuses ; le retour à Belgarod, en compagnie des armées du prince du pays d’Ardan ; les retrouvailles, et puis la prophétie cruelle du miroir aux avenirs.

« Qui est-elle ? » demanda Téagan.

Il refusa d’en révéler davantage.

« J’avais cru pouvoir l’oublier, reprit-il, mais elle me hante !… M’as-tu déjà surpris en train de regarder fixement les trouées, dans les lisières des forêts ? Tous les jours, il me semble l’entrevoir ; elle passe devant moi, mais quand je la veux suivre, elle disparaît ! Tout l’évoque… les feuillages, les nuages, et même la poussière entre les étoiles, dans la profondeur de l’univers !

— Tu en trouveras d’autres, répondit Téagan. Et tu l’oublieras !

— Non ! J’ai déjà aimé, je ne suis pas ignorant : rappelle-toi cette femme, cette condamnée ! Mais elle, c’est autre chose… C’est comme si nous avions bu le même philtre ; un seul regard aura suffi, et ma vie depuis est intolérable ! J’étais parti pour guérir ; mais plus les semaines passent, plus je la désire, plus je l’aime !

— Tu es chevalier, maintenant ; tu ne dois plus te tourmenter pour si peu. »

Les consolations de Téagan étaient inutiles.

« Si peu ? Non ! Non ! Ses yeux sont comme des lances qui m’auraient cloué à la croix d’amour ! Crois-moi, ses paupières ont l’air plus légères que des lys, mais quand elles battent, elles provoquent en mon cœur des ouragans qui me ravagent ! Je la revois plus superbe qu’une reine, étincelant dans l’azur du ciel, et même dans mon imagination, j’ai moins de peine à regarder le soleil qu’à la contempler, elle ! Certains jours, il me semble qu’elle est véritablement une fille des dieux, et même l’incarnation d’une déesse ; elles descendent parfois parmi les hommes, tu connais les fables ! Elle m’aurait élu ?…mais non, c’est impossible ! Elle est bien mortelle, et elle me possède entièrement ! Elle danse toutes les nuits dans mes rêves, elle m’appelle, elle me tend les bras ! Je brûle d’envie de l’embrasser ! Et je pressens déjà cette horrible possibilité, de l’aimer, de la tuer ! »

Il composerait pour elle, ajouta-t-il, des hymnes que l’on chanterait d’Elbërën à Dorinessa, et jusqu’au-delà des Faëlins. Emporté par l’émotion, il reconnaissait que la mort n’était rien, finalement :

« J’irai à la rivière qui traverse le gouffre insondable, celui qui sépare le monde des vivants et celui des morts ; elle est glaciale et charrie des couteaux, mais il existe un pont d’ivoire, gardé par trois géants : je le trouverai ! Puis, je charmerai les monstres avec les accords de ma lyre, et je la délivrerai. Nous partirons ensemble ! Et les dieux par pitié nous changeront en un seul être, afin que nous ne puissions plus jamais être séparés ! »

Un nouvel accablement succéda à cet emportement. Il poussa un long soupir ; et, tout en sanglotant :

« Aide-moi, je t’en supplie ! Moi, je perds la raison, et je ne sais plus que décider. Faut-il aimer, braver la mort ? Un jour je le veux, pour cent prétextes… Le lendemain, cette résolution m’est atroce ! Ne te méprends pas : ma vie ne m’importe point, mais la sienne. Quand elle m’apparaît solitaire, malheureuse, résignée, je ne le supporte pas ; mais quand je l’imagine dans mes bras, la serrant, la baisant au front, aux lèvres, au cou : elle est morte ! J’embrasse un cadavre ! »

Il gémissait tel qu’un guerrier blessé sur le champ de bataille. Téagan, impuissant, le secouait doucement par l’épaule.

« Sèche tes larmes ! » répondit-il simplement.

Et la nuit se passa dans les lamentations.

À l’aube, il fallut repartir ; ils contournèrent une petite hauteur avec des roches en saillie, au flanc de laquelle poussaient des arbres ainsi que des végétaux semblables à des bruyères, mais d’un rouge délavé. Le vent soufflait de plus en plus fort ; en même temps, la route s’élargissait ; ils croisaient des marchands, des pâtres, des voyageurs. Ils dépassèrent quelques maisons en pierre, isolées ou formant des bourgs, qui fumaient dans le lointain.

Ils suivirent pendant longtemps un muret au pied duquel poussaient des trèfles bleus. Tout à coup, le chemin descendit en longue pente, au milieu d’une prairie affaissée jusqu’à la mer, entre deux énormes falaises. En contrebas, il y avait une grève large comme une vallée, où se dressaient les murs, les tours et les toits de la cité d’Aëlys.

À l’ouest, une vaste bande de terre s’étalait encore entre la ville et la mer : elle disparaissait sous un brouillard d’embruns ; la muraille montait de ce côté à une hauteur vertigineuse, afin de protéger les habitants de l’humidité continuelle provoquée par l’agitation des flots. Beaucoup plus loin, dans l’océan, une lueur, que l’on apercevait entre deux éclatements de la houle, brûlait au sommet d’une tour qui, vue d’ici, avait la taille d’une brindille : c’était le phare. Les vagues le frappaient sans relâche. L’écume, en s’écrasant, montait jusqu’à la rotonde abritant le bûcher, et formait tout autour comme l’immense robe d’une danseuse tourbillonnante. Quand l’eau, qui perlait toujours par-dessus la ville, rutilait sous les éclaircissements brusques du soleil, toute la cité se mettait à crépiter.

Elle était plutôt resserrée, ramassée sur elle-même en face du Pocéide. La plupart des quartiers s’étendaient autour du grand temple de Skadidor, le dieu des mers, et du palais de Siward, le thane du Mor Tawel. Il y avait des sanctuaires à tous les coins de rue, un marché sur une grande place, et des tavernes dans des ruelles.

Le Mor Tawel appartenait au pays d’Ardan ; le thane Siward était fidèle au prince Varden. Dorán et Téagan pénétrèrent néanmoins dans la ville sans se découvrir, et s’établirent dans une petite auberge.

La mer rugissait de l’autre côté des murailles. L’air trempait les vêtements ; des gouttelettes suintaient des murs des maisons, comme des pleurs au long des joues. Le sol, boueux, glissait ; à chaque instant, des blocs de nuages noirs déboulaient par-dessus la ville, et déversaient par l’écartement de leurs dessous lâches des averses colossales. De l’intérieur de la cité, on voyait, en levant la tête, les falaises formidables s’avancer de part et d’autre des murailles, pareilles à une seconde enceinte massive, naturelle. Il semblait que le continent tendait ses mains énormes afin d’embrasser la ville, tout en contenant la fureur de l’océan ; on se croyait au fond d’une gorge montagneuse.

Les remparts de l’ouest, qui bouchaient la vue, donnaient à la ville son caractère. Ils en formaient l’âme ; ils la dominaient par leur élévation, ils la protégeaient des tempêtes ; le soir, ils étendaient leurs ombres dans ses rues.

À l’est, la grande route sinuait au travers de la plaine en pente. Il y avait de petites maisons sur les avancées des falaises ; une autre apparaissait, solitaire, sur la crête de la colline.

Les chevaliers, dès le lendemain de leur arrivée, demandèrent à s’embarquer pour Vëolé. On leur apprit que l’océan ne le permettait point ; aucun navire ne pouvait franchir le détroit ; cela faisait des lunes que plus aucune nouvelle ne leur parvenait de l’île d’Alfällon.

« Quand le temps se fait plus clément, leur dit un vieux marin, on aperçoit au loin, vers l’ouest, des nuages noirs ; ils ont l’air de taches d’encre dans les hauteurs du ciel ; il en dévale des trombes de feu ! »

Cet excès les étonna.

En même temps, Téagan reçut de Belgarod des lettres qui le laissèrent plein d’inquiétudes : le Conseil se divisait ; la guerre allait se déclencher d’un jour à l’autre ; son père, malade, s’affaiblissait.

Il regrettait âprement de ne pas pouvoir prendre la mer ; il eût traversé le détroit à la nage, si la chose avait été possible. Tous les jours, il s’échinait à trouver un nautonier possédant une embarcation, prêt à tenter la traversée. Il dépensa presque tout son or. Il passait son temps aux tavernes, aux boutiques, aux quais, cherchant un marin capable d’accomplir ce miracle. On le voyait du matin au soir interrogeant les uns, interpellant les autres. Il causait des heures durant avec des hommes ténébreux, aux yeux clairs comme ceux des aveugles, la peau fendue par des rides épaisses, portant des barbes broussailleuses que l’écume avait décolorées. Il promettait des montagnes de richesses ; il étalait, sous les regards de ceux qu’il jugeait les plus téméraires, des pierres valant des palais, afin d’exciter leur courage.

Il commençait d’attirer l’attention.

« Tu veux que l’on nous reconnaisse ? lui dit un jour Dorán. On murmure déjà ! »

Puis, ses entreprises étaient vaines. Tout l’or du monde ne calmerait point la rage de l’océan ! Jamais un navigateur ne consentirait à lever l’ancre ; donc, il fallait attendre une accalmie. Téagan trépignait d’impatience.

« Tout ce qu’il nous reste encore à devoir accomplir ! Et nous restons là !

— Mais les vagues ! répondait Dorán. La tempête !

— Et alors ? À quoi servent l’or et le pouvoir, s’il faut se soumettre encore aux caprices de la nature ? »

Il y avait des jours où son exaspération l’emportait. Il quittait la ville, courait sur la grève, escaladait les rochers qui bordaient l’océan. Plusieurs fois, il faillit être emporté. Le prince Varden l’avait élevé avec une telle présomption, qu’il ne lui était jamais venu à l’esprit que sa volonté pût être si nettement contrecarrée. Cela lui paraissait une frustration intolérable. Il ordonnait aux flots de le laisser passer, en hurlant face au vacarme des vagues, qui s’écrasaient presque à ses pieds ; et, parce que les flots ne lui obéissaient pas, il frappait les gerbes d’écume avec son épée. Il se sentait lâche ; son père mourait, et il restait à ne rien faire !

Dorán, non moins préoccupé que Téagan, s’enivrait afin d’adoucir les affres de l’attente insupportable. L’ivresse le transportait quelques heures ; mais quand elle se dissipait, l’ennui le ramenait toujours à Ceanna, et le chagrin lui pesait tel qu’un fardeau multiplié. Quelquefois, il prenait son cheval et s’élançait au hasard, vers les montagnes, vers les plaines ou vers la mer. Il suivait les sentiers qui montaient jusqu’au sommet des falaises surplombant l’océan, et regardait le Pocéide s’éclater contre la roche à pic, en jets tourbillonnants.

Il repensait aux dernières paroles de Ceanna, tout en caressant du bout des doigts l’anneau d’argent ; alors, ce petit objet devenait pour lui comme son émanation, presque un prolongement de son âme.

« Jette-le ! pensait-il. Jette-le pour la sauver ! »

Mais une impossibilité l’empêchait d’accomplir sa résolution ; puis des apparitions morbides passaient devant ses yeux troubles.

Il s’approchait du bord de la falaise, se penchait en avant, et chancelait sous les grands coups du vent tumultueux. Comme Téagan, il défiait du regard la houle révoltée. Il s’abandonnait avec délice aux éléments, qui pouvaient l’emporter en un moment. Sa mort ne résoudrait-elle pas toutes leurs souffrances ? Ce serait la fin de l’écartèlement qui le tiraillait depuis des mois ; Ceanna n’aurait plus qu’à faire son deuil, et elle finirait ses jours dans l’extase des souvenirs, le confondant avec un dieu, se rêvant dans ses bras au moment des prières, et, ainsi transportée, passant aux yeux du monde pour une élue du ciel ! Puis, il s’éloignait du vide, tombait sur les genoux, et versait en soupirant des larmes plus coupantes que des poignards ; elles lui déchiraient le cœur.

Il décidait que son amour était une jouissance, une illusion agitée par la vanité pour tromper son âme, et dont il fallait renoncer dans l’apprentissage de la sagesse. La brusque certitude qu’il avait de s’être approché de la vérité le rendait étrangement calme ; il s’élevait pendant quelques secondes au-dessus des sentiments, à la hauteur de la raison. L’instant d’après, une hésitation le prenait ; incapable de se maintenir à ces hauteurs, il renonçait aux subtilités des philosophes, et retombait dans l’empire des sens, où ses désirs le tenaient en esclavage.

Mais alors ? songeait-il. Ne pas aimer, donc, et vivre malheureux ? Oui, comme ce serait lâche, de s’abandonner au désir, de boire à la coupe de jouissance, de baiser la mort, à pleine bouche ! — mais parfois, vivre… c’est mourir ! Car qu’importe la vie, au fond ? — si elle n’a point valu la peine d’être vécue ! si nul sel ne la sala ! si nul vent ne l’emporta ! et si nul soleil ne la brûla !