Antoine et Cléopâtre


PREMIÈRE PARTIE : TARSE

 

VII

EN ITALIE

Telles étaient leurs continuelles fluctuations : leur amour du pouvoir les poussait au soupçon, la nécessité, à se donner des marques de confiance.

APPIEN

 

Lucius, pendant que son frère s’attardait en Égypte, demeurait assiégé dans Pérouse.

L’exaspération souvent lui faisait ouvrir les portes de la ville : ses hommes déterminés à briser l’encerclement couraient contre les ennemis furieusement, mais les légions d’Octave grossies par les cohortes prétoriennes, très supérieures en nombre, les repoussaient toujours ; ses alliés Asinius et Ventidius, sans nouvelles d’Antoine, hésitaient à venir le secourir ; toutes les voies étaient coupées, et la famine commençait de devenir intolérable.

La quantité des vivres diminuait chaque jour visiblement ; les distributions étaient de plus en plus rationnées ; les soldats maigrissaient, certains claquaient des dents sans pouvoir s’en empêcher, et l’inquiétude se lisait dans leurs prunelles dilatées.

Les assiégeants confiants attendaient les bras croisés l’heure de la reddition, nonchalamment étendus sur les rebords de leurs boucliers, ou bien appuyés debout contre les hampes de leurs javelots, plantés dans la terre ; ils gardaient les yeux fixés sur les remparts où tremblaient les sentinelles émaciées, et tendaient l’oreille afin d’écouter les horribles lamentations de la populace.

Octave espérait l’emporter d’un jour à l’autre, lorsqu’il fut informé que de nouvelles émeutes venaient d’éclater, à Rome ; le peuple exaspéré, indigné que l’on réservât le blé pour les troupes en guerre, avait pillé les greniers. Asinius et Ventidius, au même instant, apprenaient qu’Antoine, enfin décidé à soutenir son frère, voguait vers l’Italie ; et il leur ordonnait sans attendre de délivrer Lucius !

La réaction ne tarda pas ; ils se précipitèrent conjointement en direction de Pérouse, et bousculèrent avec impétuosité les troupes d’Octave prises au dépourvu. Ce dernier, sur le point de céder, adressa des messagers à Salvidienus qui se trouvait à proximité ; il vint, et parce que ses troupes étaient non seulement mieux aguerries mais plus nombreuses, repoussa les alliés de Lucius jusqu’à Fulcinion, — à cent soixante stades de Pérouse.

Octave demeurait le plus fort, donc. La manœuvre cependant avait affaibli le triumvir et redonné de l’espoir aux assiégés ; le soir même ils se réunirent derrière les portes de la ville, et quand la nuit tomba, se jetèrent avec un courage désespéré contre les forces qui les entouraient.

Ce fut une violence inexprimable ! Les combats couraient sur toute la longueur du rempart d’encerclement. Comme le ciel était couvert, il faisait un noir de poix, et l’on n’entendait que les cris effrénés des trompettes, les hurlements des guerriers, et les martèlements des fers contre les boucliers. Les projectiles nombreux volaient dans l’espace tels que des chauves-souris, dans des ronflements formidables ; l’air était fouetté des cordes des balistes, et les soldats, percutés par les énormes flèches, décollaient tout d’un coup et ne retombaient que trente pieds en arrière. Les flammes des torches, des brandons, volaient partout à la fois, les étincelles qui pleuvaient faisaient comme une poussière d’astre s’abattant ; les palissades brûlaient, et les lueurs pourpres des incendies se mêlaient aux reflets rougeâtres du sang qui s’étalait par terre. Les aigrettes des casques, les manteaux des commandants semblaient des plumages, des drapeaux, des rubans secoués avec une passion frénétique. Les hommes serrés les uns contre les autres parfois s’empoignaient à pleines mains, souvent les deux camps se confondaient — et les soldats ne savaient plus même s’ils abattaient leurs alliés ou leurs ennemis.

Mais lorsque l’aube parut, les assiégés virent qu’ils perdaient l’avantage. Alors, Lucius sonna la retraite, et ils se replièrent dans Pérouse précipitamment.

L’attaque n’avait donc servi de rien, et tout était à recommencer !

La famine se continua, et l’espoir que l’on avait eu de s’en délivrer, qui avait été brisé si douloureusement, la rendit d’autant plus insupportable.

Tous les animaux avaient été dévorés déjà, jusqu’aux chevaux des centurions dont on raclait les peaux, consommait les entrailles, pilait les os en bouillie. Chose abominable aux yeux des prêtres, on égorgea les animaux des sacrifices, et les offrandes destinées aux dieux furent pillées par la vermine. La farine, le blé montèrent à des prix extraordinaires, une mesure qui valait un denier en valut plus de cinq cents, et il n’y eut bientôt plus rien sur les marchés. Il se disait que les gens misérables lorgnaient les cadavres, que les plus intrépides, les plus indigents osaient s’en sustenter, que certains même y prenaient goût. On exprimait publiquement l’horreur de ces résolutions, et pourtant beaucoup, secrètement, se laissaient aller la nuit à cuire la chair de leurs parents morts.

L’imperator, en désespoir de cause, fit rassembler les vivres en un lieu unique, et par mesure d’économie empêcha les esclaves d’obtenir la moindre part aux distributions. Il leur interdit également de quitter la ville, car il ne fallait pas qu’ils informassent l’ennemi de l’extrémité à laquelle ils étaient arrivés.

Les jours suivants on les vit errer parmi les rues, faméliques, les ongles noirs et gagnés par les hallucinations. Ils étaient devenus d’une maigreur repoussante. Leurs côtes saillaient, et l’on devinait au travers de leurs peaux tendus excessivement les contours de leurs squelettes. Ils rongeaient les lanières de cuir de leurs sandales, de leurs vêtements, les yeux exorbités. Certains se jetaient au sol, avalaient la poussière par poignées, convulsaient ; d’autres creusaient la terre jusque sous les retranchements pour se nourrir de brins d’herbe, d’insectes et de feuilles. Ils suppliaient les maîtres de les nourrir, mais ceux-ci, agacés, les jetaient dehors, et ils agonisaient dans les rues. Lucius avait fait creuser, à l’intérieur des murailles, de longues fosses dans lesquelles on jetait les dépouilles.

On ignorait où se trouvait Antoine ; Asinius et Ventidius étaient toujours acculés à Fulcinion ; la famine s’intensifiait, et les légionnaires tombaient maintenant par dizaines.

Plus d’une semaine avait passé depuis les combats nocturnes ; les hommes de Lucius, éprouvés, lui réclamèrent une dernière sortie : ils voulaient, tentant le tout pour le tout, couper les fortifications ennemies en plusieurs endroits simultanément, afin de dégager une issue pour eux-mêmes et leurs alliés ; le général faute de mieux approuva leur volonté — au point du jour ils se jetèrent encore une fois contre le camp d’Octave, avec toute l’énergie du désespoir.

Le triumvir, afin de prévenir une nouvelle attaque, avait fait creuser des fossés. Les assiégés pour les combler emportèrent des sacs de terre et toutes sortes d’objets, ainsi que de grosses planches de bois qui leur servaient de boucliers géants, et qu’ils balançaient comme des ponts par-dessus les tranchées ; puis, abrités sous de larges peaux rembourrées, ils jetaient sur les pieux de l’osier tressé, et lorsqu’ils étaient parvenus aux remparts cherchaient à les saper, ou bien y appliquaient des échelles qu’il gravissaient d’un élan fanatique.

Une panique gigantesque avait ébranlé l’intérieur du camp. On agitait des drapeaux, les buccins gémissaient, les soldats couraient dans tous les sens ; des ordres étaient criés confusément, et les légions rassemblées se ruaient aux enceintes, prises d’assaut. Octave, blême effroyablement, restait enfermé dans sa tente, protégé par les titans de ses cohortes personnelles.

Cependant l’offensive, loin de diminuer, redoublait au contraire d’intensité. Les combattants de Lucius n’avaient plus rien à perdre ; leur force était leur détresse, elle était infinie. Ils attaquaient et se défendaient en même temps, inconscients des périls, criblant leurs adversaires de pierres, de traits et de balles de plomb. Mais les tours étaient garnies de défenseurs ; ils envoyaient contre les assaillants tout ce qu’ils pouvaient pour les repousser, des flèches, des amandes d’argile, et même des phalariques. Ils abattaient commodément tous ceux qui parvenaient en haut des échelles, ils les précipitaient par terre avec des bâtons, des hampes ou les pommeaux de leurs glaives, et les plus forts les égorgeaient ou bien leur tranchaient les mains. Les corps tombaient les uns sur les autres ; certains légionnaires, prêts à tout, escaladaient les tas qu’ils formaient peu à peu, et cherchaient à gagner ainsi le sommet des remparts.

Une telle multitude s’était portée contre les barrières qu’elles commençaient de disparaître sous le monde accumulé ; les légions triumvirales éprouvaient des peines immenses à soutenir le grand choc ; la poussière qui s’élevait, volumineuse, faisait comme un épais brouillard irritant, et c’était partout un tumulte assourdissant.

Soudain, de petits nombres d’hommes ça et là réussirent à franchir les palissades, et même une brèche s’ouvrit entre deux tours. Les plus hardis forcèrent le passage et se répandirent parmi les rangées des tentes, ivres des combats, d’autres les suivant le regard féroce.

Lucius passa par la brèche à son tour. Son fourreau, pendu à la tunique, battait contre l’extérieur de sa cuisse ; il ne portait qu’une armure légère en bandelettes de métal reliées par des courroies de cuir, et sur la tête son casque doré pourvu de longues paragnathides, avec des appliques d’un bronze clinquant, et un vaste cimier bouffant qui paraissait une grosse crête enflammée. Le paludamentum, attaché par deux fibules d’argent à ses larges épaules, tournoyait dans son dos tel un étendard pris dans une tempête. Les soldats se précipitaient contre lui ; mais il levait alternativement son bouclier puis son glaive, à double tranchant, et tuait ses agresseurs les uns après les autres. Il frappait à droite, à gauche, sans distinction ; chaque fois qu’il élevait sa lame elle était sanguinolente, et il semblait qu’on l’eût plongée dans une bassine de sang. Un légionnaire, donnant un coup puissant contre son bouclier, le fendit en deux. Alors il l’abandonna, et prenant son glaive à deux mains, faucha une quantité considérable d’ennemis.

L’armée de Lucius pénétrait de plus en plus en avant dans le camp, les soldats fuyaient devant eux, Octave était introuvable et l’on criait qu’il avait fui, déjà ; les assaillants allaient parvenir contre toute attente à mettre en déroute les légionnaires du triumvir, et malgré leur fatigue ils commençaient de frapper leurs armes les unes contre les autres, victorieusement.

Un buccinateur, soudain, souffla dans sa trompette un long cri cuivré, un appel plaintif, lent et retentissant, qui semblait jaillir d’un autre monde. Les hommes de Lucius se figèrent. La poussière se dissipa, et il en surgit une ligne d’hommes très grands armés de javelots démesurés ; leurs casques à l’attique avaient des ailes ainsi que des cimiers en gueule de loup, leurs cuirasses tout d’une pièce, de bronze, imitaient leurs musculatures viriles — mais d’autres étaient protégés par des armures en écailles d’or —, et des protections d’airain leur couvraient les jambes, depuis les sandales jusqu’aux tuniques. C’était la garde personnelle du fils de César, les titans, les meilleurs parmi ceux des cohortes prétoriennes, et les plus forts !

Le succès des assiégés avait initié leur défaite ; en pénétrant les défenses ils s’étaient trop éparpillés, et se retrouvaient désorganisés. La garde en parfait état chargea en courant : ce fut comme un raz de marée irrésistible. Elle les bouscula sauvagement ; exténués, sans voix, sans force, les partisans d’Antoine se laissaient massacrer, tombaient sous les pas des soldats, et ceux-ci les piétinaient horriblement.

Lucius, au désespoir, ordonna aux hérauts de sonner la retraite. Aussitôt ses hommes s’enfuirent en direction de Pérouse. Les assiégeants du haut des tours leur jetaient des pierres, des balles, des javelines, et ils pleuraient de rage et de dépit.

Encore une fois, l’assaut n’avait servi de rien, et tout était à recommencer.

Un accablement extrême, à partir de ce jour, s’empara des assiégés. Que faisait donc Antoine ?… Puisque les communications étaient coupées, il était impossible de connaître son avancée, et l’horizon demeurait désert immuablement.

Les sentinelles étaient abattues ; les défections se multipliaient ; les centurions jetaient leurs insignes. Lucius ne pouvait plus même arguer qu’il protégeait les siens d’une mort assurée, car Octave, afin de mieux les démoraliser, accueillait les transfuges avec humanité.

Chaque jour on implorait l’imperator de faire cesser les combats ; il répondait invariablement que son frère arriverait d’un jour à l’autre, et les délivrerait ; mais les jours passaient sans qu’il ne se montre, et lui-même perdait peu à peu l’illusion d’une victoire.

La capitulation était imminente ; Octave trépignait.

Un matin, Lucius réunit finalement ses troupes : Il avait voulu les libérer de la tyrannie ! les généraux d’Antoine les avait abandonnés, l’on était d’ailleurs sans nouvelles de son frère ! ils n’avaient pas été vaincus par leurs ennemis, mais par la faim ! il se rendait et se livrerait seul, dû-il périr en échange de leur amnistie !

Il se livra au triumvir et la paix fut conclue.

Les deux armées se réconcilièrent ; Octave couronné de laurier épargna Lucius, ainsi que les centurions et les chevaliers de Pérouse ; mais il fit exécuter les sénateurs et brûla la cité, à l’exception du temple d’Héphaïstos.

Ainsi finit la guerre de Pérouse !

 

 

Antoine seul dans sa tente réfléchissait, en portant régulièrement à ses lèvres une grande coupe de vin d’Italie.

C’était une vaste tente à trois mâts décorée sur l’extérieur, depuis la victoire de Philippes, de lierre et de laurier. Comme le soleil se couchait, seule une vapeur diffuse, qui passait au travers de la toile, l’éclairait de ténèbres tamisées. On entrevoyait dans la pénombre quelques meubles, un lit, des sièges et une longue table, puis les faisceaux des verges des licteurs, un large bouclier rutilant, et couché devant, un glaive dans son fourreau. Des branches de myrte faisaient dans les hauteurs des guirlandes, et les parois étaient décorées de tentures fleuries. Un buste effroyable de César, l’orbite obscur habité des batailles, de l’Empire et des triomphes, trônait sur un trépied de marbre à côté de la chaise curule ; et la terre était couverte de carrelages ainsi que de mosaïques.

Les généraux de l’imperator, après la reddition de Pérouse, s’étaient éparpillés dans toutes les directions, vers la mer, Ravenne ou Tarente. Même Fulvie, — son épouse —, fuyant, avait gagné Brindes escortée de trois mille cavaliers, et de là s’était embarquée pour l’Orient. Octave pendant ce temps-là profitait de la mort de Calenus, un des alliés d’Antoine, pour prendre possession de son armée, et avec elle de la Gaule et de l’Ibérie. Le « petit César » disposait à présent de plus de quarante légions, commandait les provinces les plus étendues de la République, et venait en outre d’emporter contre le frère de son égal en dignité, Lucius, une victoire éclatante.

Les triumvirs officiellement ne s’étaient point déclaré l’un contre l’autre ; pourtant, ils avaient cherché tous les deux à gagner l’alliance de Sextus Pompée, le fils du Grand Pompée qui tenait toujours la Sicile contre les vainqueurs des républicains, l’un par sa mère, Julia, l’autre par Scribonia, la sœur de Libon, beau-frère du rebelle. Les hostilités couvaient, la guerre était imminente, Antoine d’ailleurs cherchait à la provoquer — certain de la gagner.

La nuit tomba, plongeant l’intérieur du pavillon dans un noir presque absolu.

L’imperator, quelques semaines auparavant, avait débarqué à Brindes avec deux cents vaisseaux et la flotte d’Ahenobarbus, ralliée inespérément. Il avait cru pouvoir se reposer dans une ville qui lui devait obéissance ; mais elle était gardée par cinq cohortes d’Octave, et celles-ci avaient refusé de lui ouvrir les portes de la ville. Alors, il avait creusé un fossé tout autour, élevé un rempart, entouré le port de garnisons, et envoyé des détachements le long des côtes afin de s’emparer des positions les plus avantageuses. Pompée cependant, acquis finalement à Antoine, s’emparait de la Sardaigne, assiégeait Consentia, et ses cavaliers ravageaient la campagne des alentours.

Octave, pris d’une angoisse, s’était lui-même transporté en direction de Brindes et il campait maintenant à proximité de la ville, non loin des quartiers d’Antoine.

Les deux hommes se tenaient immobiles face à face, de part et d’autre d’une immense plaine, tels deux lions près de bondir ; Antoine multipliait les ruses pour gonfler ses effectifs, afin qu’on le croie invincible ; les cohortes de l’un et de l’autre parti, si proches qu’elles se trouvaient à portée de voix, s’accusaient d’agression mutuellement. La tension était extrême, la concorde sur le point de se rompre, et l’Italie, Rome, la République au bord d’un éclatement définitif.

Antoine soupira. Qu’allait-il advenir ?…

Le vin le grisait ; ses pensées divaguèrent. Il songeait à Lucius, à Fulvie, aux jours passés sur la mer, avec les cris incessants des rameurs, et le grondement perpétuel des vagues heurtant les trirèmes ; et puis à l’Égypte, au Nil, au phare d’Alexandrie…

La vision de Cléopâtre le transperça.

Il se jetait depuis des semaines dans les combats sans mesure, se ruait à toutes les entreprises, aux plans les plus hardis, pour échapper à son souvenir qui l’obsédait. À présent que l’oisiveté le tourmentait, elle lui apparaissait plus fortement que jamais, et l’ivresse, comme si elle eût été le ciseau de ses fantasmes tailleurs, la façonnait à ses yeux si réalistement qu’elle prenait vie, pareille à Galatée s’animant — sa femme un instant lui traversa l’esprit et il la rejeta vivement, car il était furieux contre elle à cause de sa conduite dans la guerre de Pérouse.

Il but encore une gorgée de ce vin qui lui tournait la tête, et tout à coup la reine d’Égypte fut là devant lui. Une lumière intense, ardente, caressante, un morceau du soleil tel qu’il brille dans les pays chauds, avait pénétré à l’intérieur du pavillon ; elle en jaillit la tête haute, avec cet air impérial de divinité qu’elle conservait toujours, et qui la rendait si attirante. Ses lèvres, gonflées imperceptiblement, étaient vermeilles ; l’azurite étalé entre ses cils et ses sourcils, entourée de mesdemet, agrandissait ses yeux verts teintés de bleu extraordinairement ; les perles dorées appendues aux extrémités de ses tresses à peine s’entrechoquaient, et les pans de ses longs vêtements lévitaient d’une façon mystérieuse.

Antoine, abasourdi d’amour, éprouva le désir violent d’abandonner tout, de laisser là ses hommes, la Ville, ses richesses et son pouvoir, de revenir à la cité d’Alexandrie, étreignant sa reine avec animalité de la baiser sur la bouche, et d’y demeurer jusqu’à sa mort. Les considérations politiques, les préoccupations souveraines l’agaçaient. Qu’importaient ces vanités ? La mer pouvait bien recouvrir Rome de ses eaux comme elle le fit jadis d’Atlantis, les royaumes s’épanouir et pourrir, le feu des volcans détruire les îles et les continents ! — puisqu’elle était son univers, son visage la clarté d’Hélios, et que dans l’abîme de ses prunelles brillaient toutes les étoiles de la Voie lactée !

La sueur perlait contre ses tempes ; ses muscles tremblaient, il respirait comme un buffle et buvait à sa coupe avec férocité.

Mais des bruits dehors, au niveau du prétoire, le sortirent brutalement des ravissements dans lesquels il s’abîmait ; c’étaient des cris, des huées, des bruits de bousculade, les rumeurs confuses d’une étrange agitation.

Presque aussitôt, le volant du pavillon s’ouvrit et Decimus, le premier des licteurs, annonça qu’un visiteur désirait le rencontrer.

« Je le recevrai demain », répondit Antoine.

Un accablement prodigieux pesait sur ses épaules ; Decimus insistait cependant :

« C’est important, mon général. »

Les esclaves, qui étaient entrés en même temps que le licteur, allumaient les grandes vasques, les torches et les lampes à médaillon. La tente s’illumina des flammes réconfortantes ; le buste de César émergea de la pénombre, et l’imperator, l’observant, crut surprendre un ordre dans ses yeux glacials. Alors, d’un geste las, il fit signe à chacun de sortir, et à Decimus de laisser venir son hôte.

Mécène pénétra dans la tente.

Antoine tressaillit.

« Toi ! » fit-il en se levant soudainement.

La surprise, la colère lui avaient fait porter la main à la poignée de son glaive. Mécène cependant le regardait sans frémir, et ce courage inattendu ébranlait la volonté mal définie de l’amant de Cléopâtre.

« Oui, s’écria-t-il, moi ! Appelle à l’aide si tu le désires, enchaîne-moi, tue-moi ! Seulement, sache que si j’ai couru tant de risques en allant à ta rencontre, c’est parce que j’ai de grandes choses à te dire, et tu ferais mieux de m’écouter. »

Antoine le considérait. Il devait avoir trente ans. Ses yeux immenses, creusés dans son visage glabre, faisaient entre son large front et ses joues aplaties deux glorieux ovales, et ses sourcils, froncés naturellement, lui donnaient toujours l’air sévère ; il avait un nez d’une proportion parfaite, et le crâne dégarni déjà.

« Que me veux-tu ? » demanda l’imperator.

L’ami d’Octave était venu pour le convaincre de renoncer. Il déploya ses raisons à grande verve, usant de tous les artifices de la rhétorique. Il lui fit voir la bonne foi du fils de César, la nécessité qu’ils avaient de s’accorder, puis le risque qu’il courait pour lui-même et pour les institutions.

« Tu dois t’entendre avec César, Antoine ! L’avenir de Rome en dépend. Souviens-toi des cris de la plèbe, des ovations du peuple, des regards de tes soldats : ils t’adorent, et tu les oublies ! Ne trahis pas, je t’en supplie, l’héritage de César, la République et tes convictions, pour de vains plaisirs égoïstes… Ne te laisse pas conduire par une femme qui connaît trop tes faiblesses ! Que t’a dit Cléopâtre ?… elle ne sert que son ambition, il ne faut pas l’écouter.

— Assez ! répliqua Antoine avec colère. Cléopâtre, elle, n’est pas mon ennemie… »

Et d’un ton brusque il ajouta :

« Est-ce pour me dire cela que tu es venu ? Eh bien ! Rapporte à ton maître que je n’ai rien à lui dire que des insultes, et que je l’écouterai uniquement s’il veut me demander grâce. »

Mécène sentait l’entretien lui échapper :

« Mais il a sauvé ton frère », souffla-t-il.

Alors, l’ire d’Antoine tonna comme la foudre.

« Manœuvre ! fulmina-t-il. Ce n’était que pour le retourner contre moi ! »

Et il lui reprocha, dans un discours plein d’invectives, d’avoir non seulement osé s’en prendre à sa famille, mais depuis longtemps d’avoir sacrifié son honneur à d’abjectes stratégies.

L’imperator en même temps faisait les cent pas dans l’espace profond du pavillon, heurtant les objets, repoussant les meubles, agité tel qu’un fauve dans les cages du Grand Cirque ; Mécène se taisait, embarrassé, apeuré aussi par l’autorité de cet homme colossal.

« S’il était mon allié, reprit-il, pourquoi m’interdirait-il d’accéder à Brindes ? Pourquoi me prendrait-il mes provinces et mes armées ? »

Et comme son hôte ne lui répondait toujours pas, il se retourna tout d’un coup et le fixa de ses yeux sanguins. Mécène, décontenancé, essaya de balbutier quelque chose, mais se sentit foudroyé invinciblement.

Il était comme vaincu par l’emprise d’Antoine ; alors il lui lança abruptement, en s’écartant :

« Imperator, triumvir, parle avec ton égal, et demande-lui ses raisons directement ! »

Il souleva la toile de la tente d’un ample geste, et Octave en personne parut, vêtu de ses habits de commandement.

Il ne portait qu’une courte tunique, des sandales, une cuirasse légère en argent ornée de reliefs bleus, et le paludamentum, dont la fibule de bronze reflétait les moires lumineuses des flambeaux. Ses licteurs le suivaient sur le prétoire, et derrière, on apercevait les soldats rassemblés qui se bousculaient pour mieux voir.

Antoine bondit de stupeur.

« Comment ! cria-t-il. C’est un piège ? »

Il sortit à demi le glaive de son fourreau, par un réflexe sauvage, puis s’avança d’un pas menaçant ; Octave, pris au dépourvu, se recula de terreur, cependant que l’on rabattait le volant.

L’arrivée du triumvir avait heureusement redonné du courage à Mécène ; il s’interposa :

« César n’est pas venu pour t’assassiner, Antoine, mais pour se réconcilier ! »

L’imperator, emporté, le visage fou et la chair vibrante, les yeux à demi exorbités, fixait le triumvir d’un regard de lion piqué par le trident du belluaire ; et la rage l’échauffait tant, qu’il n’avait pas l’air d’entendre Mécène ; ce dernier pourtant continuait :

« Crois-tu qu’il serait entré à l’intérieur de ton camp, s’il te voulait du mal ? Regarde autour de toi : tes cohortes prétoriennes, tes légions, ton armée tout entière n’attendent qu’un ordre pour nous massacrer ! »

Et montrant Octave du doigt, dramatiquement :

« Mais il n’a pour se protéger que ses licteurs ! S’il s’approche, s’il te touche, il périt. Tu vois, c’est lui qui prend des risques insensés, et cela devrait bien assez à tes yeux prouver sa sincérité. Tu n’as rien à craindre, alors écoute-le ; écoute-le pour le bonheur de Rome et de la République ! »

Antoine, la raison foulée sous les battements de son cœur, n’écoutait plus rien, ne voyait plus rien, sa poitrine se soulevait bestialement, et ses tempes palpitaient. Il s’était figé malgré tout, et il y eut pendant quelques minutes un silence interminable ; on entendait le ronflement du vent cherchant à gonfler la lourde toile, puis les murmures de la foule, et la lointaine activité du campement.

L’imperator enfin se radoucit. Il fit trois pas en arrière en signe d’apaisement, rangea son glaive et croisa les bras sur sa poitrine. Il scrutait Octave cependant d’un air tout enflé de haine, teinté d’un souverain mépris.

Celui-ci poussa Mécène d’un geste agacé, et se redressant de toute sa taille, se drapa hautainement dans son manteau long.

Antoine, à ce geste bouffi de suffisance, tout de morgue et de superbe ostentation, éclata d’un grand rire.

« Petit tyran ! » pouffa-t-il, comme s’il taquinait une maîtresse.

Le triumvir se décomposa.

« Tu te prends pour un monarque ? reprit Antoine. Toi dont le bisaïeul fut un affranchi, un cordier de Thurium ! Et ton grand-père était changeur ! »

Et de nouveau il éclata d’un grand rire, en répétant « Thurinus ! Thurinus ! » en manière de plaisanterie — c’était le surnom que ses ennemis employaient contre lui ouvertement, au Sénat.

Octave, piqué au vif, rougit de honte.

« Calomnie ! » répondit-il.

Et ne pouvant s’empêcher de se justifier, en dépit de la bassesse de ces attaques, il ajouta qu’il venait d’une famille de chevaliers ancienne et riche, qui avait été la première de Vélitres :

« Mes ancêtres y consacraient les autels au dieu Mars !

— Tu pries Mars ? rétorqua Antoine. Mais je suis Mars ! Alors prie-moi, mortel, à genoux ! »

Ce disant il pointait vers la terre son doigt tendu, en découvrant ses dents.

« Menteur ! protestait Octave. Tu ne descends pas plus de Mars que d’Héraclès, et tu le sais pertinemment. Tandis que moi… le sang de César coule dans mes veines, le sang du dieu César !

— Mais au moins, fit Antoine vilement, j’ai hérité des attributs d’Héraclès. Tandis que toi, tu n’as rien de César… Octave ! »

Octave blêmit ; et mutique il le dévisagea, les lèvres tremblantes de colère.

Antoine tournait autour de lui à pas fauves, lents, silencieux. Mécène baissait la tête et se taisait.

« Pourquoi, demanda tout à coup l’imperator, as-tu changé à mon égard ? Est-ce parce que je possède une reine ?… Est-ce que je te demande, moi, de me rendre compte de tes coucheries ? Mais peut-être es-tu moins jaloux d’elle, misérable, que du titre qu’elle revendique ? »

Le fils de César ne put masquer un mouvement de surprise.

« Ne joue pas l’étonné, reprit Antoine. Moi, au lendemain de la mort de César, j’ai aboli la dictature, quand tu marchais contre Rome en rêvant d’une couronne ! »

Puis il répéta, cette fois-ci d’un ton plus franchement accusateur :

« Tyran ! Lamentable tyran ! »

Il s’attendait à un débordement de rage ; il bandait les muscles, prêt à empoigner Octave s’il se précipitait contre lui. Dans sa raison de bête féroce, il pensait que son adversaire allait réagir contre lui comme lui-même eût réagi, et presque il l’espérait, se disant que ce serait l’occasion de l’étrangler légalement.

Mais le triumvir lisait dans le cœur d’Antoine comme dans un livre grand ouvert. Une étrange lumière passa dans ses yeux fins ; il se redressa imperceptiblement, moins semblable à un grand carnassier, qu’à un vautour ayant cerné sa proie.

L’imperator, à moitié ivre, ne s’aperçut de rien ; et il allait répéter son accusation, quand Octave répondit de la façon la plus indifférente :

« Il faudra bien que je le devienne, par ta faute ! »

Comme l’autre demeurait stupéfait de cette audace, Octave, profitant de son avantage, s’avança jusqu’au milieu du pavillon, et Antoine s’écartait pour le laisser passer.

« Tes orgies, poursuivit-il doctement, tes pitoyables excès m’indifféraient, tant qu’ils ne mettaient pas en péril la République, et que je n’avais pas sans cesse à en couvrir les effets ! »

Puis il se lança dans un discours effarant, détaillant ses actions au Sénat, les dangers qu’il n’avait prévenus que de justesse et les multiples périls dans lesquels ses négligences, ses inconséquences et ses maladresses, enfin son insouciance injustifiable avaient bien failli les précipiter. Antoine, suspendu à ses lèvres, sursautait lorsqu’il élevait la voix, frissonnait quand il la descendait trop profondément, et concevait comme des réalités toutes les menaces qu’il proférait contre lui.

C’était Octave maintenant qui tournait autour de l’imperator, le poing brandi, en énumérant la succession de ses manquements, avec un air épouvantable. Son frère, sa femme qui lui avaient fait la guerre ensemble, n’eût-il pu d’une simple lettre les arrêter ? N’est-ce point sa paresse qui avait empêché si longtemps les vétérans de recevoir leurs soldes, l’obligeant à puiser dans le trésor ? — et Rome jusqu’à ce jour tremblait des émeutes répétées !

Soudain, il écarta les bras, et farouche :

« Pompée se renforce de notre inimitié ; grâce à toi il ravage la Sardaigne, ainsi que toute la campagne de l’Italie du sud ! Jusqu’à quand me faudra-t-il faire preuve d’indulgence ? Tu devrais me remercier, général, au lieu de m’insulter, car me voilà suffisamment puissant pour te terrasser, et il me suffirait d’invoquer l’ordre public pour le faire avec la bénédiction du peuple et des centurions, qui n’en peuvent plus ! »

Il s’était placé devant le mât principal ; les flammes de la lampe qui y était accrochée, légèrement surélevées, lui faisaient des cheveux flambants, et il paraissait terrible. Antoine, vaguement effrayé, à force de se reculer avait heurté le bord du lit de camp, et s’y était assis involontairement ; il observait maintenant le triumvir en contre-haut, et ainsi il avait l’air plus terrible encore — ses traits répondaient parfaitement à ceux du buste de César, et pour la première fois, l’imperator vit une ressemblance entre les deux hommes.

« Comprends-tu ? reprenait Octave. Quand tu déclines, Antoine, c’est notre pouvoir qui décline, et c’est le Triumvirat qui défaille. »

Il abaissa les yeux sur le pâle triumvir. Puis il s’adoucit, aussi subitement qu’il s’était déployé dans toute son envergure, et lui tendit la main d’un geste chaleureux.

« Je veux que tu sois fort, car ta force m’est nécessaire ! »

Antoine cependant ne pouvait se départir d’une méfiance ; il ignorait si l’adopté de César était sincère ou s’il cherchait seulement à le manipuler, par l’une de ses ruses habituelles. La permanente duplicité d’Octave l’exaspérait ! Sans cesse il avait le sentiment d’être joué, et encore à présent, il peinait à le percer à jour — car il s’imaginait au contraire qu’il n’eût désiré que grandir et le voir s’abaisser, afin de le pouvoir écraser du talon.

« Comment être fort ? fit Antoine. Tu m’as pris mes terres et mes soldats !

— Il le fallait. Lucius venait de mener la guerre contre moi, et ta femme, Fulvie ! Leurs alliés, trop puissants, risquaient de me déborder. Tu l’espérais sans doute ?

— Non ! s’écria l’imperator. Non ! Ils faisaient la guerre au Triumvirat, à toi autant qu’à moi ! Je n’ai rien à voir avec leur rébellion !

— Vraiment ? répondit Octave en se détournant. Et pourtant tu éconduisis mes messagers, tu refusas même de m’envoyer armes et subsides, quand je te les réclamais avec insistance. »

Antoine, au supplice, se défendait tel un accusé au tribunal : longtemps il avait ignoré ses appels, par paresse ; puis il avait craint que le plan de Fulvie ne fût précisément de lui faire quitter l’Égypte, et c’était uniquement pour cela qu’il avait jugé préférable de temporiser !

Chaque fois qu’il essayait de reprendre l’ascendant, Octave le mettait face à ses contradictions, inflexiblement, avec le génie d’un dieu de la ruse — mais aussi il avait été formé à l’art oratoire par Apollodore de Pergame. Lui avait-il refusé l’entrée de Brindes ? — mais ce n’était qu’une initiative de la garnison, et d’ailleurs elle avait bien agi, puisqu’il venait avec l’ennemi, Ahenobarbus le proscrit, le pilleur et l’incendiaire, l’assassin de son père ! Cherchait-il par ses artifices à diviser l’Italie ? — mais c’était sa propre famille qui avait pris les armes contre le Triumvirat, et il venait encore de faire alliance avec Pompée, l’héréditaire ennemi des césariens !

Antoine fléchissait sous les assauts rhétoriques de son égal. Lui-même argumentait habituellement comme il faisait la guerre, à grandes charges audacieuses et souvent victorieuses ; mais si la défense tenait, si par la suite elle contre-attaquait, alors il perdait ses moyens.

« As-tu seulement écouté les tribuns ? disait Octave. Les préteurs, les vétérans, les centurions ? Eux justement se méfient de Pompée, car ce n’est pas sa petite république qui leur distribuera leurs récompenses. Ton armée, imperator, ne te pardonnera pas ton alliance infâme, elle ne t’obéira plus. Ouvre les yeux : elle refusera de marcher contre moi, contre Rome et contre ses intérêts ! »

Antoine, affolé par ces paroles, demanda d’une voix suppliante :

« Que faire, alors ? »

Le fils de César plissa les yeux ; un sourire hideux distordit ses lèvres fines ; il venait d’emporter la discussion !

« Ordonne à Pompée, répondit-il sèchement, de se retirer en Sicile, et ce sera pour moi un gage suffisant de ta confiance. Si nous nous allions encore, si nous triomphons de Pompée, notre puissance sera décuplée ! Alors m’embrasseras-tu, à présent ? »

Il tendait les bras. Mais l’imperator, les sourcils froncés, cherchait toujours à pénétrer ses intentions.

« Et toi ? dit-il sans répondre au geste d’Octave. Comment aurai-je ta confiance ? »

Un grand sourire éclaira la face du triumvir.

« Marcellus, répondit-il, l’époux de ma sœur Octavie, vient tout juste de périr. Je te la donne, prends-la et devenons frère !

— Mais Fulvie ?… »

À ce dernier nom, la rage du fils de César éclata, et il devint furieux.

Mécène tressaillit, Antoine baissa la tête, les flambeaux parurent se voiler.

Il lui reprochait d’avoir conspiré contre la Ville, déchiré la péninsule, menacé la République pour son ambition personnelle. Bien trop lâche pour mener seule ses desseins perfides, elle s’était servie de Lucius, et si ce dernier ne s’était libéré de son emprise à temps, elle eût imbibé d’un sang fraternel l’Italie entière avant que de renoncer ! Elle ne méritait que l’exil ! Non ! D’être précipitée du haut de la roche Tarpéienne, car elle était coupable de trahison !

« Oublie-la, conclut-il, se tournant vers Antoine. Car elle est déjà morte ! »

L’imperator frémit.

L’image de Cléopâtre, un instant, passa dans les insondables nébuleuses de sa conscience. Il réfléchissait à toute allure, la poitrine battante, la tête embrumée de vin, de paroles et de conjectures. Il se disait qu’Octave en ce moment devait être sincère, et il repensait aux arguments de Mécène : le triumvir eût-il couru de tels risques s’il n’était attaché vraiment à ses intérêts, quand il eût été en effet en mesure de le combattre, et peut-être de le vaincre ? Puis, qu’avait-il à perdre à renouer une alliance ? Le fils de César le sous-estimait, à la moindre déloyauté il tomberait contre lui avec ses légions invincibles, et l’écraserait sous les roues de son char conquérant.

Decimus et Mécène écartèrent les volants du pavillon.

Alors, Antoine se leva, ouvrit les bras à son tour, et les deux hommes s’embrassèrent au milieu des soldats qui les acclamaient.