Les Mémoires fictifs de Cendrars – L’Homme foudroyé (1/2)

Portrait de Blaise Cendrars par Amedeo Modigliani (huile sur toile).
Portrait de Blaise Cendrars par Amedeo Modigliani, huile sur toile, 1917.

L’écrivain Blaise Cendrars, dans une interview radiophonique donnée en 1952, définissait ainsi la tétralogie constituée par L’Homme foudroyée, La Main coupée, Bourlinguer et Le Lotissement du ciel : « des mémoires, qui sont des mémoires sans être des mémoires. »
Nous pourrions également citer cette lettre de 1944 adressée à son ami Lévesque : « ce drôle de livre qui tient du roman policier, du Cantique des cantiques, de l’incantation, du reportage et des confessions d’un démiurge. »
Et si l’œuvre de Cendrars était aussi un traité de l’écriture­ ?

Vie de Cendrars

Frédéric Louis Sauser naît le premier septembre 1887 en Suisse d’une mère qui le néglige et d’un père qui est un homme d’affaires instable. Suite à de mauvais résultats scolaires, il est envoyé durant son enfance à Saint-Pétersbourg comme apprenti bijoutier chez le joaillier Leuba – c’est là qu’il s’éveille à la poésie. Quand il revient en Suisse, en 1907, il apprend le décès de sa mère. La même année est publiée en russe La Légende de Novgorod, l’un des tout premiers écrits de Sauser.
Il mène jusqu’en 1912 une vie dissolue : il entreprend de nombreuses études (médecine, musique, lettres, histoire), voyage en Belgique, à Paris, en Russie et finalement à New-York. Il écrit là-bas son premier poème qu’il signe Cendrars, Les Pâques. Il revient ensuite à Paris où il fréquente l’avant-garde, Apollinaire, Soupault, Cocteau et même Louis-Ferdinand Céline. C’est à cette période – en 1913 – qu’il publie l’un de ses ouvrages les plus célèbres, La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France.

1914. La guerre éclate. Cendrars s’engage et part au front. En 1915 il doit être amputé du bras droit suite à une blessure causée après la grande offensive de Champagne. En guise de consolation il est naturalisé français un an plus tard, en 1916.
Juste après la guerre, dès 1918, il commence à délaisser l’écriture et s’intéresse de plus en plus au cinéma. D’abord figurant, il devient finalement assistant d’Abel Gance pour le film La Roue. Mais déjà la passion du voyage le reprend. Entre 1924 et 1927 il entreprend trois périples successifs au Brésil. De ces voyages naissent certains de ses plus grands succès, parmi lesquels L’Or (1925) et Moravagine (1926).
Les années 1930 sont assez paisibles pour Cendrars. Il continue à publier régulièrement et rencontre John Dos Passos ainsi que James Cruze qui adapte L’Or au cinéma.
En 1944, pendant la guerre – il s’est réfugié à Aix-en-Provence –, paraissent ses Poésies complètes. Les années suivantes voient l’apogée de sa carrière littéraire. En 1945 sort L’Homme foudroyé, en 1946 La Main coupée, en 1948 Bourlinguer, en 1949 Le Lotissement du ciel. Ces quatre romans autobiographiques ont un succès retentissant.
Quelques ouvrages paraissent encore jusqu’à sa mort, ainsi qu’une série d’entretiens accordés pour la RTF et enregistrés à son retour à Paris en 1950.
Blaise Cendrars s’éteint à Paris le 21 janvier 1961.

L’écriture selon Cendrars

Blaise Cendrars fait partie de ces écrivains que tout le monde connaît mais que personne n’a lu. Et pourtant, quel écrivain ! Passionné de littérature, bourlingueur, il est l’un de ceux qui ont le mieux parlé de leur art – celui de l’écriture. L’écriture est une religion chez Cendrars ; il en fait une étincelle qui allume un grand feu, celui de la pensée humaine et du langage – son pseudonyme en témoigne.

L’écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d’idées et qui fait flamboyer des associations d’images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l’alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c’est brûler vif, mais c’est aussi renaître de ses cendres.
(L’Homme foudroyé, B. Cendrars, 1945.)

Un incendie. Cendrars l’a vu, le feu. Né en 1887, mort en 1961 : il avait vingt-sept ans au début de la Première Guerre mondiale et cinquante-deux ans au début de la Deuxième. Il n’a pas déserté ; au contraire, étranger, il a couru au front dans la Légion et s’est fait arracher le bras droit, celui de son écriture. Comment survivre à ce traumatisme ? En n’oubliant pas que la consumation n’est ni un début ni une fin ; ou, plutôt, est à la fois une fin et un début. Cendrars n’a pas laissé le feu le dévorer ; il a fait ce qu’il devait faire : écrire de la main gauche.
Écrire, mais pourquoi et pour qui ? Pour les hommes. Cendrars a vécu au siècle des matricules ; sa vie riche et foisonnante n’est faite que de rencontres avec les humbles, à la manière d’un saint du moyen âge. Aussi la question de l’homme, du frère, a-t-elle une importance cruciale, capitale dans sa production. Même quand il s’isole pour écrire il tient à garder un lien continu, permanent avec la chaleur humaine, cette chaleur qu’il a rencontrée dans les tranchées, peut-être perdue au front, retrouvée après la guerre et sans doute de nouveau perdue à partir de 1939.

Il est bon, quand on vient dans la solitude pour travailler à un livre, de se fixer à proximité d’une voie ferrée et de voir par sa fenêtre passer les trains. Ce trafic marque le temps et crée un lien entre la marche silencieuse de la pensée et l’activité bruyante du monde. On communie. On se sent moins seul. Et l’on comprend que l’on écrit pour les hommes.
(L’Homme foudroyé, B. Cendrars, 1945.)

Un saint du moyen âge, Cendrars l’aurait été assurément. Il est fasciné par cette époque ; il a consacré des lignes à Villon et cite aussi bien saint Augustin que Jacques de Voragine. Il multiplie les références à Dieu et préfère la compagnie des faibles à celle des puissants. Il a aussi ses défauts, qui le rendent humain – lui qui ne s’intéresse qu’à l’humain. Il ne mâche pas ses mots, envoie des charges violentes contre ceux qui le déçoivent et s’attribue parfois le beau rôle dans un manque flagrant de modestie.
Mais Cendrars ne se perd jamais vraiment dans le flot de ses pensées ; il finit toujours par revenir à la question fondamentale de l’écriture. Car ses mémoires qui ne sont pas vraiment des mémoires sont aussi un traité d’écriture, cette écriture qui est à la fois un style et une posture. Une posture : celle de l’écrivain qui travaille, toujours seul, jamais distrait par le monde extérieur ; Cendrars rejette la mimesis aristotélicienne ; ses ouvrages ne visent jamais à créer une représentation fidèle du monde et de la nature car cette représentation est par essence impossible ; elle n’est que le fruit d’un cerveau, d’un « soi » unique ; ainsi, pourquoi se laisser distraire par un paysage ? Un style : celui qui doit être à l’image de l’écrivain ; l’écriture de Balzac est affolée, frénétique, celle de Proust méandreuse, celle de Céline argotique. Et celle de Cendrars ? Foisonnante et un peu désabusée.

Un écrivain ne doit jamais s’installer devant un panorama, aussi grandiose soit-il. Comme saint Jérôme, un écrivain doit travailler dans sa cellule. Tourner le dos. On a une page blanche à noircir. Écrire est une vue de l’esprit. C’est un travail ingrat qui mène à la solitude. On apprend cela à ses dépens et aujourd’hui je le remarque. Aujourd’hui, je n’ai que faire d’un paysage, j’en ai trop vu ! « Le monde est ma représentation. » L’humanité vit dans la fiction. C’est pourquoi un conquérant veut toujours transformer le visage du monde à son image. Aujourd’hui, je voile même les miroirs. Tout le restant est littérature. On n’écrit que « soi ». C’est peut-être immoral. Je vis penché sur moi-même. « Je suis l’autre. »
(L’Homme foudroyé, B. Cendrars, 1945.)

Blaise Pascal en son temps s’excusait de n’avoir pas eu le temps de faire une lettre plus courte. C’est que la concision suppose un lent travail de précision ; ce temps, cette précision, Cendrars ne les a pas. Il écrit furieusement, il tente comme il peut d’attraper au vol ses pensées qui s’éparpillent ; et lui-même, lucide, déplore son manque de brièveté. Il semble parfois se perdre dans le gigantesque labyrinthe formé par les idées qui jaillissent de sa tête ; il décrit longuement dans des phrases à la Proust des paysages, des hommes ou des situations qu’il a peut-être peur d’oublier. Cet écrivain, passionné par l’écriture, regrette paradoxalement la parole et le langage :

Les hommes qui sont obligés de se servir de la parole pour découvrir leurs pensées, n’expriment qu’une seule chose à la fois. Mais si je pouvais m’exprimer autrement, dit saint Augustin, je dirais à la fois d’un seul mot tout ce que je pense.
(L’Homme foudroyé, B. Cendrars, 1945.)

Dire d’un seul mot tout ce que l’on pense est le rêve d’une communication optimisée ; mais c’est aussi la mort de la littérature. Que seraient les Confessions contenues dans un mot ? Une insignifiance, sans doute. C’est la difficulté à rendre compte de ses pensées qui provoque la nuance ; et c’est précisément quand on cherche à résumer, d’un mot, la pensée d’un homme qu’on passe à côté de ses mille subtilités.
Mais ni Cendrars ni saint Augustin ne militent pour le « mot unique » ; car en réalité ce mot, ce seul mot auquel ils font tous les deux référence, ne résumerait pas leur pensée ; il retranscrirait leur pensée, dans sa complexité et dans sa totalité.
Le rêve de Cendrars est impossible ; pourtant, il ne perd jamais vraiment de vue cet objectif qui est celui d’englober une totalité. Quand il parle de l’écriture de son camarade Le Rouge, par exemple, qu’il assimile au génie littéraire, il insiste sur le caractère sommatif de celle-ci :

C’est dans ces publications populaires qu’il ne signait pas que Le Rouge se laissait aller à son démon, faisant appel à la science et à l’érudition, non par vain étalage encyclopédique mais pour détruire l’image, ne pas suggérer, châtrer le verbe, ne pas faire style, dire des faits, des faits, rien que des faits, le plus de choses avec le moins de mots possible et, finalement, faire jaillir une idée originale, dépouillée de tout système, isolée de toute association, vue comme de l’extérieur, sous cent angles à la fois et à grand renfort de télescopes et de microscopes, mais éclairée de l’intérieur. C’était de l’équilibrisme et de la prestidigitation. […] Je donne la prose et les vers de Stéphane Mallarmé pour, notamment, une de ses plaquettes éphémères qui était intitulée 100 recettes pour accommoder les restes qui se vendait cinq sols. […] Mon ami a fait la somme du roman du XIXè siècle, de Bernardin de Saint-Pierre à Wells, en passant par Poe, Gustave Aimard, le Balzac de Séraphîta, le Villiers de l’Isle-Adam de l’Eve future, l’école naturaliste russe et le théâtre d’épouvante.
(L’Homme foudroyé, B. Cendrars, 1945.)

Le Rouge que Cendrars admire, Le Rouge disciple de Paul Verlaine, est un génie qui s’ignore – ou qui feint de s’ignorer. Cendrars, pour l’en convaincre, utilise une ruse de Sioux qui concerne encore l’écriture. Il propose à son éditeur, qui l’accepte, un volume inédit de poèmes. Ces textes, approuvés par la critique, sont en réalité fabriqués uniquement à partir de l’un des ouvrages de son ami :

J’eus la cruauté d’apporter à Le Rouge un volume de poèmes et de lui faire constater de visu, en les lui faisant lire, une vingtaine de poèmes originaux que j’avais taillés à coups de ciseaux dans l’un de ses ouvrages en prose et que j’avais publiés sous mon nom ! C’était du culot. Mais j’avais dû avoir recours à ce subterfuge qui touchait à l’indélicatesse – et au risque de perdre son amitié – pour lui faire admettre, malgré et contre tout ce qu’il pouvait avancer en s’en défendant, que, lui aussi, était poète, sinon cet entêté n’en eût jamais convenu.
(L’Homme foudroyé, B. Cendrars, 1945.)

La qualité de l’écriture doit donc s’apprécier objectivement pour Blaise Cendrars ; et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles il était si attiré par la poésie. La poésie est l’art littéraire mené à son plus haut degré car elle doit se soumettre, en plus de l’écriture spontanée, à des règles contraignantes qui visent à lui imposer un rythme et une forme élégante.
Mais au fait, nous nous demandions avec Cendrars pourquoi et pour qui écrire ? Pour qui, nous y avons répondu : pour les hommes. Mais pourquoi­ ? Cette éternelle question – qu’on en juge : la plupart des mouvements littéraire tournent en réalité autour de cette question ; la Pléiade entend forger la langue française, le romantisme entend s’engager dans la lutte contre l’injustice, le Parnasse entend, au contraire, n’écrire que pour l’art et rien d’autre – reste en suspens. Cendrars finit par y répondre et sa réponse, comme toujours, est à la fois riche et laconique : il faut écrire pour être vrai, « donner trace de vie », en d’autres termes, témoigner. Cendrars se voit comme un témoin de son temps – son autre passion, la photographie et la filmographie, ne vise-t-elle pas à documenter la postérité ? Cendrars n’est pas un parnassien ; il ne voit pas que du beau dans l’art, il y voit aussi une véritable utilité : en ce qui concerne l’écriture, témoigner.

Aujourd’hui (1944) que nous écrivons dans une atmosphère de fin du monde, que d’une heure à l’autre une bombe peut venir mettre le point final au milieu de mon manuscrit, que demain il n’y aura peut-être plus de lecteurs faute de livres et de bibliothèques, le moment serait mal choisi de faire étalage de grands sentiments ; l’heure est venue d’être vrai ; mon dernier espoir n’est pas d’entrer à l’Académie mais d’être enfin couché dans cette terre de France qui s’entrouvre et pour laquelle j’ai versé mon sang bien avant toute ambition d’écrire. D’ailleurs, les personnages dont je parle sont si lointains et si morts dans le temps qu’aujourd’hui, selon la forte parole de Saint Paul : « Je vois ces choses comme dans un miroir. » C’est dire qu’elles sont dépouillées de tout sentiment d’amour ou de haine. Je ne suis poursuivi par aucun fantôme. C’est tout juste si les cendres que je remue contiennent des cristallisations donnant l’image (réduite ou synthétique ?) des êtres vivants et impurs qu’elles ont constitués avant l’intervention de la flamme. Si la vie a un sens, cette image (de l’au-delà ?) a peut-être une signification. C’est ce que je voudrais savoir. Et c’est pourquoi j’écris… Et c’est pourquoi les écrivains sont des hommes publics dont la postérité fouille la vie plus que les contemporains n’analysent les écrits… Pourquoi ?… Qu’est-ce que cela signifie ?… Oui ou non, la vie a-t-elle un sens ?… Je réponds : non. Mais l’homme, l’homme ?… Regardez comment ils vivaient. Je vais tâcher de les faire revivre pour vous. J’écris. Lisez. Je ne puis faire plus. Je n’en sais pas plus. Et, moi-même, je suis foudroyé. Il n’y a donc pas de rancune dans ce que j’écris. Mais il y a trace de vie. Et c’est la vie qui a été cruelle et désobligeante pour cette femme. Morte ou vive, je n’y peux rien, cela a été. Ainsi soit-il. J’écris…
(L’Homme foudroyé, B. Cendrars, 1945.)

L’écriture, donc, est un témoignage. Cela justifie son importance, rassure peut-être l’écrivain Cendrars – car il y a une sorte de vertige nihiliste dans la doctrine de l’inutilité de l’art. L’écriture, en tant que témoignage, concerne l’ensemble de l’humanité ; elle a une fonction collective, conforme à la doctrine chrétienne, voire mystique, que Cendrars invoque. Mais l’écriture ne saurait se débarrasser complètement d’un égoïsme intrinsèque à l’Homme ; et chez Cendrars, amputé du bras droit, celui de l’écrivain, elle prend une dimension homérique. L’auteur de L’Homme foudroyé se rappelle l’une de ses nuits d’écriture « comme on se rappelle sa plus belle nuit d’amour ».
Cendrars, au fond, est un humaniste. Il en est même l’essence pure. Il voit dans l’Homme et dans l’humanité un trésor inépuisable de richesse et d’inspiration. Il dit ne pas tremper sa plume dans un encrier, mais dans la vie ; en réalité, la vie, c’est son encrier :

Tout ce que j’ai connu dans la vie, heurs et malheurs, m’a extraordinairement enrichi et servi chaque fois que je me suis mis à écrire. Je ne trempe pas ma plume dans un encrier, mais dans la vie. Écrire, ce n’est pas vivre. C’est peut-être se survivre. Mais rien n’est moins garanti. En tout cas, dans la vie courante et neuf fois sur dix, écrire… c’est peut-être abdiquer. J’ai dit.
(L’Homme foudroyé, B. Cendrars, 1945.)

Cendrars est aussi humaniste qu’il est antithétique ; à l’optimisme succède toujours le pessimisme, comme s’il devait se justifier d’éprouver une jouissance dans l’écriture, lui dont la vie a été jalonnée de souffrances ; comme s’il avait honte d’être heureux après avoir côtoyé tant de misère. Il voit l’écriture comme un sacerdoce ; lui, qui possède ce don de l’écrit, doit écrire pour témoigner. L’écriture, chez lui, n’est jamais une jouissance ou une libération ; elle est une souffrance ; elle le tient captif. Quand il écrit, Cendrars est en retenue ; quand il cesse d’écrire, il se dit enfin libre :

J’ai rapporté du front de la guerre de 1914 une habitude de soldat qui est de me lever avant l’aube et de me mettre immédiatement au boulot. Il est vrai que je n’astique pas des armes. J’écris […] deux heures par jour. Deux heures qui ne doivent rien à personne. Ceci fait, je suis libre.
(L’Homme foudroyé, B. Cendrars, 1945.)

« Ceci fait, je suis libre. » Qu’est-ce à dire ? Que l’écriture est une prison. Ou, en tout cas, un devoir auquel on ne peut se soustraire. Nous avons dit qu’il ne fallait pas résumer une pensée en quelques phrases ; dérogeons à notre règle ; tout Cendrars pourrait être résumé par ces mots : l’importance du témoignage.
Cendrars est obsédé, obnubilé par cette question. Il ne veut pas voir son époque disparaître dans les limbes du temps – le temps auquel on revient toujours – à cause du silence des chroniqueurs. C’est pour cela, par exemple, qu’il parcourt avant tout le monde la banlieue parisienne en long en large et en travers, cette banlieue qui prend tant d’ampleur et dont personne ne parle. C’est encore pour cela qu’il écrit ces lignes :

Je suis surpris qu’aucun romancier d’aujourd’hui n’ait encore consacré une œuvre à l’auto, à la route moderne […]. Je suis surpris qu’aucun poète d’aujourd’hui n’ait encore chanté l’automobile comme j’ai chanté le chemin de fer dans le Transsibérien à la veille de l’autre guerre. […] Et pourtant, il n’y a qu’une seule chose de sublime au monde pour un créateur : l’homme et son habitat. Dieu nous en a donné l’exemple qui s’est mêlé à nous.
(L’Homme foudroyé, B. Cendrars, 1945.)

« Dieu ». Cendrars, créateur mêlé aux hommes, se prendrait-il pour Dieu ? Sans doute pas. Car Dieu ne se laisse pas tenter par le Démon. Cendrars, lui, n’est qu’un homme : il y succombe.

Diable, mais te voilà pris, mon pauvre Blaise, et par le Démon de l’écriture, le pire de tous. Quand la voix de Dieu clame dans le désert, le Démon l’écrit et… s’en vante.
(L’Homme foudroyé, B. Cendrars, 1945.)

 

Lecture conseillée :

  • L’Homme foudroyé, B. Cendrars, 1945.

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