Plaidoyer pour la lecture de la Bible

L'Ancien des jours (1794) Gravure à l'aquarelle par William Blake, coll. British Museum
L'Ancien des jours (1794) Gravure à l'aquarelle par William Blake, coll. British Museum

Sauf à être chercheur ou ministre du culte, que l’on soit croyant ou non, l’on ne sait presque rien de la Bible. Certes, elle détient toujours le record du livre le plus vendu de l’histoire : mais pour combien de temps ? Car elle a disparu depuis longtemps des classements annuels. Pour beaucoup, elle n’est plus qu’un achat de circonstance, première communion ou confirmation : l’on acquiert, l’on offre, et puis l’on range, et l’on oublie.
Le constat s’impose, implacable : nous avons perdu l’habitude de lire la Bible. Pour d’aucuns, elle a l’air d’un livre sacré que l’on ne doit pas toucher, soit par quelque lointain reste de peur superstitieuse, soit par dédain – pour ne pas dire mépris – à l’encontre des choses sacrées ; pour d’autres, elle apparaît comme une compilation volumineuse d’écrits arides que l’on regarde de loin, avant que de juger, un peu trop facilement, qu’il serait trop risqué d’aller s’y plonger.
Ainsi, que connaît-on de l’Ancien Testament, et du Nouveau ? Faisons le tour : la Genèse, pour l’avoir entendue mille fois citée ; Abel et Caïn (« L’œil était dans la tombe… ») ; le Déluge, et l’arche de Noé ; Moïse, dans les très grandes lignes (le buisson ardent, l’Exode, la traversée de la mer) ; Job et Jonas, vaguement, par bribes ; quelques anecdotes par-ci, par-là, comme la tour de Babel, le combat de David contre Goliath, les cheveux de Samson, ou le jugement du roi Salomon ; les Évangiles et saint Paul, pour ceux qui vont à la messe ; enfin l’Apocalypse, de nom.
L’on s’en contente, et l’on passe, par manque de temps : erreur immense ! De gros traits ne font pas un dessin fidèle ; et l’on n’admire jamais un tableau par ses canevas. Se faire une idée de la Bible par ces petits fragments, poussiéreux parce que lointains dans les mémoires, c’est se fermer volontairement à sa richesse prodigieuse, une richesse qui n’est pas seulement spirituelle, mais encore historique et littéraire : la Bible, c’est vingt siècles d’histoire, c’est la sublime alliance de l’épique et du lyrique, de la morale et de la poésie, du conte et de la chronique.
Se figurer la Bible comme un écrit d’expert, rédigé à la seule destination de quelques élus, dont l’on ne peut faire partie, pour des raisons religieuses, idéologiques ou culturelles, c’est, en quelque sorte, s’en forger une vision non seulement incomplète, mais encore à rebours de ce qu’elle est véritablement. Et qu’est-elle donc, véritablement ? Absolument et fondamentalement, un livre total, c’est-à-dire conçu pour tous les âges, tous les sexes et tous les peuples, pour les croyants et les incroyants, pour les sensibles et les enragés, pour les âmes en manque d’imagination et les cœurs désillusionnés, pour les riches et les pauvres, pour les grands de ce monde et les misérables, enfin pour les puissants – et les orphelins.
C’est son grand prodige, prodige qui résulte de l’histoire étonnante de sa composition, que la Bible soit si parfaite, même dans ses imperfections. Et ce n’est pas un hasard, si l’on y entre par l’un des plus beaux poèmes jamais composés : c’est une promesse.

1. La poésie : les livres poétiques

« Au commencement » : c’est ainsi que débute la Bible, et par un superbe parallélisme d’ouverture et de clôture qui ne concerne pas que les mots, mais encore les textes (la Genèse et l’Apocalypse), c’est par un envoi : « Amen », qu’elle prend fin, soixante-treize livres plus loin. La boucle est bouclée.
A-t-on jamais fait mieux qu’un poème, pour entrer dans un ouvrage ? En 1882, Nietzsche aussi, dans Le Gai savoir, saura rassurer son lecteur par quelques vers préliminaires : car un poème au début d’une œuvre, c’est comme un apéritif au champagne avant un repas somptueux, c’est un amuse-gueule délicieux, c’est une sucrerie littéraire. Ce serait toutefois par trop injuste, que de comparer la Genèse à une simple douceur : bien plus qu’un poème, elle est en effet rien de moins qu’une cosmogonie, un récit créateur – celui des premiers actes du Démiurge.
Qu’il ait été créé par Dieu ou façonné par le hasard du tournoiement des astres, nul n’en disconvient, le monde est tout un chant – et la Genèse un portail de poésie, grand ouvert sur une somme incomparable de beautés d’écriture.
Si l’on en doute, que l’on relise l’Ecclésiaste et les Lamentations. Et puis les Psaumes, et pourquoi pas le cent vingt-sixième, intitulé « Chant du retour », qui évoque si bellement le retour du peuple d’Israël après son exil à Babylone :

Quand Yahvé ramena les captifs de Sion,
nous étions comme en rêve ;
alors notre bouche s’emplit de rire
et nos lèvres de chansons.
Alors on disait chez les païens : Merveilles
que fit pour eux Yahvé !
Merveilles que fit pour nous Yahvé,
nous étions dans la joie.
Ramène, Yahvé, nos captifs
comme torrents au Négeb !
Ceux qui sèment dans les larmes
moissonnent en chantant.
On s’en va, on s’en va en pleurant,
on porte la semence ;
on s’en vient, on s’en vient en chantant,
on rapporte ses gerbes.
(Bible de Jérusalem, Ps, 126)

Et que dire du Cantique des cantiques, cette suite poétique si suggestive qu’elle a dérouté les exégètes de tous les siècles ? L’on ne sait comment interpréter cette danse amoureuse, presque lascive, de deux amants, sise en plein cœur du Livre sacré : s’agit-il du mariage du roi Salomon et de la fille du Pharaon ? Ou, comme le pensent les Juifs, d’une allégorie de l’amour de Dieu pour Israël, et du peuple pour son Dieu ?

Je dors, mais mon cœur veille.
J’entends mon bien-aimé qui frappe.
« Ouvre-moi, ma sœur, mon amie,
ma colombe, ma parfaite !
Car ma tête est couverte de rosée,
mes boucles, des gouttes de la nuit. »
— « J’ai ôté ma tunique,
comment la remettrais-je ?
J’ai lavé mes pieds,
comment les salirais-je ? »
Mon bien-aimé a passé la main par la fente,
et pour lui mes entrailles ont frémi.
Je me suis levée
pour ouvrir à mon bien-aimé,
et de mes mains a dégoutté la myrrhe,
de mes doigts la myrrhe vierge,
sur la poignée du verrou.
J’ai ouvert à mon bien-aimé,
mais tournant le dos, il avait disparu !
Sa fuite m’a fait rendre l’âme.
Je l’ai cherché, mais ne l’ai point trouvé,
je l’ai appelé, mais il n’a pas répondu !
Les gardes m’ont rencontrée,
ceux qui font la ronde dans la ville.
Ils m’ont frappée, ils m’ont blessée,
ils m’ont enlevé mon manteau,
ceux qui gardent les remparts.
Je vous en conjure,
filles de Jérusalem,
si vous trouvez mon bien-aimé,
que lui déclarerez-vous ?
Que je suis malade d’amour.
(Bible de Jérusalem, Ct, 5 : 2-8)

Comme le héros d’ « Avatar » – la nouvelle de T. Gautier – qui se meurt d’amour, comme le « Je » de Serge Lama, qui en est malade, la mystérieuse amante du Cantique des cantiques souffre des maux éternels de la passion : la Bible, c’est aussi là sa magie, est intemporelle.
« De profundis »… « Le seigneur est mon berger »… La poésie de la Bible, l’on la citerait sans fin : elle est juste assez sibylline, juste assez suggestive, juste assez vaporeuse pour toucher au fond du cœur, gratter l’âme, et raviver les braises qui couvent à l’intérieur du corps, et font flamber l’espoir, quand il apparaît mort.

*

« Passons, passons, puisque tout passe », écrivait Apollinaire en 1913, dans Alcools. Même la poésie lasse : et certes, il nous faut bien l’avouer, elle n’est pas toujours aussi divertissante que les récits des rois, de leurs gloires, et de leurs déboires.

2. L’épopée : le Pentateuque et les livres historiques

La Bible est un livre épique. Elle est peuplée de princes munificents et de monstres des profondeurs, de cadavres et de miracles, de batailles décisives et de trahisons de palais, de conquêtes et de reconquêtes, d’apogées et de décadences. Elle n’a rien à envier aux plus grandes épopées, aux chansons de geste les plus fameuses, ou aux mythes et légendes les plus renommés.
Elle exagère : elle grossit, elle agrandit, elle donne parfois le sentiment de la démesure. Elle est une fresque baroque, pleine de symboles ; elle cherche moins la description que l’évocation : elle ne se veut pas réaliste, mais suggestive. Elle n’a rien du style aride de nos historiens modernes et contemporains : elle amplifie pour rendre l’idée, elle raconte l’histoire comme une aventure digne d’être écoutée, et répétée, et ce faisant elle ne ment pas toujours, car il y a tout un gouffre, entre le fait pur, et son ressenti. Frédéric William Maitland disait qu’un livre d’histoire doit donner faim. Et Marc Bloch ajoutait, dans La Société féodale, « faim d’apprendre et surtout de chercher. » L’Ancien Testament, à plus d’un égard, met la curiosité en appétit.
Ici la Bible se fait volontiers surnaturelle, et frappe notre esprit par des images qui nous saisissent : le meurtre d’Abel, bien sûr, et le Déluge, le buisson ardent, le miracle de la mer –

Moïse étendit la main sur la mer, et Yahvé refoula la mer toute la nuit par un fort vent d’est ; il la mit à sec et toutes les eaux se fendirent. Les Israélites pénétrèrent à pied sec au milieu de la mer, et les eaux leur formaient une muraille à droite et à gauche. Les Égyptiens les poursuivirent, et tous les chevaux de Pharaon, ses chars et ses cavaliers pénétrèrent à leur suite au milieu de la mer. À la veille du matin, Yahvé regarda de la colonne de feu et de nuée vers le camp des Égyptiens, et jeta la confusion dans le camp des Égyptiens. Il enraya les roues de leurs chars qui n’avançaient plus qu’à grand-peine. Les Égyptiens dirent : « Fuyons devant Israël car Yahvé combat avec eux contre les Égyptiens ! » Yahvé dit à Moïse : « Étends ta main sur la mer, que les eaux refluent sur les Égyptiens, sur leurs chars et sur leurs cavaliers. » Moïse étendit la main sur la mer et, au point du jour, la mer rentra dans son lit. Les Égyptiens en fuyant la rencontrèrent, et Yahvé culbuta les Égyptiens au milieu de la mer. Les eaux refluèrent et recouvrirent les chars et les cavaliers de toute l’armée de Pharaon, qui avaient pénétré derrière eux dans la mer. Il n’en resta pas un seul. Les Israélites, eux, marchèrent à pied sec au milieu de la mer, et les eaux leur formèrent une muraille à droite et à gauche. Ce jour-là, Yahvé sauva Israël des mains des Égyptiens, et Israël vit les Égyptiens morts au bord de la mer. Israël vit la prouesse accomplie par Yahvé contre les Égyptiens. Le peuple craignit Yahvé, il crut en Yahvé et en Moïse son serviteur.
(Bible de Jérusalem, Ex, 14 : 21-31)

– ou encore, au deuxième livre des Chroniques, la lèpre qui touche subitement le roi Ozias, parce qu’il a prévariqué contre Dieu, et s’est emporté contre les quatre-vingts vertueux prêtres du Temple.

Quand Ozias fut devenu puissant, son cœur s’enorgueillit jusqu’à le perdre : il prévariqua envers Yahvé son Dieu. Il vint dans la grande salle du Temple de Yahvé pour faire l’encensement sur l’autel des parfums. Le prêtre Azaryahu, ainsi que quatre-vingts vertueux prêtres de Yahvé, vinrent s’opposer au roi Ozias et lui dirent : « Ce n’est pas à toi, Ozias, d’encenser Yahvé, mais aux prêtres descendants d’Aaron consacrés à cet effet. Quitte le sanctuaire, car tu as prévariqué et tu n’as plus droit à la gloire qui vient de Yahvé Dieu. » Ozias, tenant dans ses mains l’encensoir à parfum, s’emporta. Mais alors qu’il s’emportait contre les prêtres, la lèpre bourgeonna sur son front, en présence des prêtres, dans le Temple de Yahvé, près de l’autel des parfums ! Azaryahu, premier prêtre, et tous les prêtres se tournèrent vers lui et lui virent la lèpre au front. Ils l’expulsèrent en hâte et il se hâta lui-même de sortir, car Yahvé l’avait frappé.
(Bible de Jérusalem, 2 Ch, 26 : 16-20)

Si l’épique se mêle au symbole, il se mêle aussi au passé : car les livres historiques, au-delà de leurs événements spectaculaires, racontent les origines, les grandeurs et les échecs de tout un peuple, celui que Moïse mena hors du pays d’Égypte.
C’est l’histoire de Josué, le premier successeur de Moïse, le seul homme qui ait donné un ordre à Yahvé, et à qui Yahvé obéit –

« Soleil, arrête-toi sur Gabaôn, et toi, lune, sur la vallée d’Ayyalôn ! »
Et le soleil s’arrêta, et la lune se tint immobile jusqu’à ce que le peuple se fût vengé de ses ennemis.
Cela n’est-il pas écrit dans le livre du Juste ? Le soleil se tint immobile au milieu du ciel et près d’un jour entier retarda son coucher. Il n’y a pas eu de journée pareille, ni avant ni depuis, où Yahvé ait obéi à la voix d’un homme. C’est que Yahvé combattait pour Israël.
(Bible de Jérusalem, Jos, 10 : 12-14)

– des Juges (Gédéon, Jepthé, Samson) et de Ruth, et de Samuel. C’est l’histoire du roi David qui réclama, dans sa vieillesse, une jeune vierge pour se coucher à ses côtés, parce qu’on le couvrait de vêtements, sans qu’il pût se réchauffer ; c’est l’histoire du roi Salomon, son fils, qui lui succéda et qui, parce qu’il avait été préféré à tous ses frères, dut les mettre à mort afin d’affermir son pouvoir, à qui Dieu donna, dit-on, le pouvoir de sagesse – dont il fit l’éloge –, qui fit bâtir un temple gigantesque, un palais tout en or, et puis mourut dans la gloire, très vieux, et très riche ; c’est l’histoire du roi Jéroboam, qui se sépara du royaume de Roboam, le fils de Salomon, à cause de sa trop grande intransigeance, et qui, parce qu’il avait cessé d’adorer Dieu, alors pourtant que le Souverain des anges, par la voix de l’un de ses prêtres, avait fendu ses autels et pétrifié son bras droit, ne cessa de guerroyer contre Roboam, vit sa descendance périr, et finit lui-même, après vingt-deux ans de règne, par se coucher auprès de ses pères ; c’est l’histoire des rois Abiyyam et Asa, qui régnèrent quarante-deux ans sur le royaume de Roboam, après sa mort, et s’ils demeurèrent fidèles au culte de Dieu, ne cessèrent de faire la guerre aux successeurs du roi Jéroboam ; c’est l’histoire des rois Nadab, Basha, Éla, Zimri et Omri, qui tous irritèrent Dieu, en adorant de vaines idoles, poursuivant la tradition mauvaise du roi Jéroboam ; c’est aussi l’histoire du roi Achab, successeur d’Omri, qui persécuta les prophètes de Dieu mais ne put jamais trouver le prophète Élie, jusqu’à ce que ce dernier vînt à lui, et massacrât au sommet du mont Carmel quatre cent cinquante prêtres païens, qui fit alliance avec le roi Josaphat, successeur du roi Asa, et qui finit par périr au pied des murs de Ramoth, ainsi que l’avait prédit le prophète Élie – et les chiens burent le sang qui s’écoulait de son corps mort.

À l’heure où l’on présente l’offrande, Élie le prophète s’approcha et dit : « Yahvé, Dieu d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, qu’on sache aujourd’hui que tu es Dieu en Israël, que je suis ton serviteur et que c’est par ton ordre que j’ai accompli toutes ces choses. Réponds-moi, Yahvé, réponds-moi, pour que ce peuple sache que c’est toi, Yahvé, qui es Dieu et qui convertis leur cœur ! » Et le feu de Yahvé tomba et dévora l’holocauste et le bois, et il absorba l’eau qui était dans le canal. Tout le peuple le vit ; les gens tombèrent la face contre terre et dirent : « C’est Yahvé qui est Dieu ! C’est Yahvé qui est Dieu ! » Élie leur dit : « Saisissez les prophètes de Baal, que pas un d’eux n’échappe », et ils les saisirent. Élie les fit descendre près du torrent du Qishôn, et là il les égorgea.
(1 Rois, 36-40)

La Bible, ce sont encore les chroniques, et les livres d’Esdras, de Néhémie et de Tobie, et puis l’histoire de Judith, cette Juive de Béthulie qui sauva son peuple des assauts du général Holopherne, en le décapitant, après l’avoir enivré et séduit : une histoire si captivante, qu’elle alimenta longtemps l’inspiration des artistes, et notamment des peintres, Botticelli, Mantegna, Le Titien, Le Caravage, Vernet, Klimt – et tant d’autres.

3. La morale : les livres sapientiaux

La Bible est pleine de morale ; non de cette moraline de bien-pensants, de philosophes de tours d’ivoire, mais de cette morale façon Grand Siècle, de cette morale éternelle, de celle qui touche à l’orgueil, à l’amour-propre et aux vanités.
Il faut lire les Proverbes, la Sagesse de Salomon, l’Ecclésiastique, et puis presque tout le Nouveau Testament. Mieux que l’ensemble des philosophes des siècles postérieurs, ces livres nous renseignent sur la nature humaine, comment la comprendre, comment s’en défier, comment la dompter pour devenir un homme meilleur.
L’on serait bien avisé, par exemple, de lire ces prescriptions des Proverbes :

Ne refuse pas un bienfait à qui y a droit
quand il est en ton pouvoir de le faire.
Ne dis pas à ton prochain : « Va-t’en ! repasse !
demain je te donnerai ! » quand la chose est en ton pouvoir.
Ne machine pas le mal contre ton prochain,
alors qu’il demeure en confiance avec toi.
Ne te querelle pas sans motif avec un homme,
s’il ne t’a fait aucun mal.
(Bible de Jérusalem, Pr, 3 : 27-30)

Tous les apprenants, tous les débutants, ne devraient jamais oublier ces conseils –

Qui aime la discipline aime le savoir,
qui hait la réprimande est stupide.
(Bible de Jérusalem, Pr, 12 : 1)
Entends le conseil, accepte la discipline,
pour être sage à la fin.
(Bible de Jérusalem, Pr, 19 : 20)

– et les procéduriers compulsifs, cette maxime fort utile :

C’est aimer l’offense qu’aimer la chicane,
qui se montre orgueilleux cultive la ruine.
(Bible de Jérusalem, Pr, 17 : 19)

Les débatteurs nerveux, les journalistes excités, les politiques trop convaincus, les chroniqueurs furieux des plateaux de mauvais talk-shows, feraient mieux d’apprendre à s’écouter :

Qui riposte avant d’écouter,
c’est pour lui folie et confusion.
(Bible de Jérusalem, Pr, 18 : 13)

Les pourfendeurs modernes de la présomption d’innocence, ces juges auto-proclamés qui se croient fondés à prononcer des peines à la place des magistrats, sur la seule foi d’accusations, et quand les procédures n’ont pas même encore été lancées, devraient méditer ce sage proverbe :

On donne raison au premier qui plaide,
que survienne un adversaire, il le démasque.
(Bible de Jérusalem, Pr, 18 : 17)

L’on pourrait encore citer tout l’Ecclésiastique, dont la forme fait parfois penser aux Maximes de La Rochefoucauld, ou aux Caractères de La Bruyère. Mais nous voilà déjà parvenus aux livres des prophètes, Isaïe, Jérémie et Daniel, Jonas, Michée et Zacharie, et les autres. L’on passe, car sinon cet article serait décidément trop long, l’on tourne la dernière page de l’Ancien Testament, et l’on entre au Nouveau – en toute confiance.

4. La parole d’amour : le Nouveau Testament

Le Nouveau Testament, c’est d’abord la vie de Jésus, racontée par les Évangiles. Ce sont aussi les Actes des apôtres, les épîtres de saint Paul – aux Romains, aux Corinthiens, aux Galates, aux Éphésiens, aux Philippiens, aux Colossiens, aux Thessaloniciens, à Timothée, à Tite et à Philémon –, enfin les épîtres aux Hébreux et les épîtres catholiques, et, pour finir, l’Apocalypse.
Le Nouveau Testament est tout l’inverse de l’Ancien ; le second, qui est le livre exclusif d’une histoire guerrière et conquérante, se veut prescriptif et porté à la tradition ; tandis que le premier, qui raconte les souffrances du Fils de l’Homme, et les prédications des premiers chrétiens, 1) rejette allègrement les traditions – que les sceptiques relisent la Vie de Jésus, de Renan –, 2) prône l’amour jusqu’à la soumission, et 3) s’ouvre à l’humanité.

1) Le Nouveau Testament rejette les traditions.
Jésus, ce n’est pas un hasard, ne cesse de s’attaquer aux Pharisiens, c’est-à-dire aux Juifs obéissant strictement à la Loi de Moïse. Que l’on relise cette parabole, tragique pour le vieux culte, dans laquelle le Fils de l’homme condamne l’idéologie du « C’était mieux avant » –

Il leur disait encore une parabole : « Personne ne déchire une pièce d’un vêtement neuf pour la rajouter à un vieux vêtement ; autrement, on aura déchiré le neuf, et la pièce prise au neuf jurera avec le vieux. Personne non plus ne met du vin nouveau dans des outres vieilles ; autrement, le vin nouveau fera éclater les outres, et il se répandra et les outres seront perdues. Mais du vin nouveau, il le faut mettre en des outres neuves. Personne, après avoir bu du vin vieux, n’en veut du nouveau. On dit en effet : C’est le vieux qui est bon. »
(Bible de Jérusalem, Lc, 5 : 36-39)

– ou le passage des épis arrachés :

Or il advint, un sabbat, qu’il traversait des moissons, et ses disciples arrachaient et mangeaient des épis en les froissant de leurs mains. Mais quelques Pharisiens dirent : « Pourquoi faites-vous ce qui n’est pas permis le jour du sabbat ? » Jésus leur répondit : « Vous n’avez donc pas lu ce que fit David, lorsqu’il eut faim, lui et ses compagnons, comment il entra dans la demeure de Dieu, prit les pains d’oblation, en mangea et en donna à ses compagnons, ces pains qu’il n’est permis de manger qu’aux seuls prêtres ? » Et il leur disait : « Le Fils de l’homme est maître du sabbat. »
(Bible de Jérusalem, Lc, 6 : 1-5)

Renan l’exprime très bien :

Une pensée du moins que Jésus emporta de Jérusalem, et qui dès à présent paraît chez lui enracinée, c’est qu’il ne faut songer à aucun pacte avec l’ancien culte juif. L’abolition des sacrifices qui lui avaient causé tant de dégoût, la suppression d’un sacerdoce impie et hautain, et, dans un sens général, l’abrogation de la Loi lui parurent d’une absolue nécessité. À partir de ce moment, ce n’est plus en réformateur juif, c’est en destructeur du judaïsme qu’il se pose.
[…]
On chercherait vainement dans l’Évangile une pratique religieuse recommandée par Jésus. Le baptême n’a pour lui qu’une importance secondaire ; et quant à la prière, il ne règle rien, sinon qu’elle se fasse du cœur.
(Vie de Jésus, E. Renan)

2) Le Nouveau Testament prône l’amour jusqu’à la soumission.
Sur ce point, le contraste avec l’Ancien est saisissant. Là où les vieux rois bibliques, et même les prophètes, comme Élie au mont Carmel, massacraient sans vergogne leurs ennemis, le Fils de l’Homme, ainsi que les nouveaux prédicateurs, ne veulent quant à eux rien d’autre que la paix sur terre. L’on pense, bien sûr, à l’un des sermons les plus connus de Jésus, celui qu’il prononça sur la montagne.

« Mais je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous diffament. À qui te frappe sur une joue, présente encore l’autre ; à qui t’enlève ton manteau, ne refuse pas ta tunique. À quiconque te demande, donne, et à qui t’enlève ton bien ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux pareillement. Que si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? Car même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel gré vous en saura-t-on ? Même les pécheurs en font autant. Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ? Même des pécheurs prêtent à des pécheurs afin de recevoir l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense alors sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, Lui, pour les ingrats et les méchants.
Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés ; remettez, et il vous sera remis. Donnez, et l’on vous donnera ; c’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu’on versera dans votre sein ; car de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en retour. »
(Bible de Jérusalem, Lc, 6 : 27-38)

Les Évangiles sont souvent cités parce qu’ils contiennent en germe tout le Nouveau Testament. Mais l’on pourrait aussi s’attarder sur les épîtres de saint Paul ; celles aux Romains, par exemple, où il reprend les enseignements du sermon sur la montagne.

Bénissez ceux qui vous persécutent ; bénissez, ne maudissez pas. Réjouissez-vous avec qui est dans la joie, pleurez avec qui pleure. Pleins d’une égale complaisance pour tous, sans vous complaire dans l’orgueil, attirés plutôt par ce qui est humble, ne vous complaisez pas dans votre propre sagesse. Sans rendre à personne le mal pour le mal, ayant à cœur ce qui est bien devant tous les hommes, en paix avec tous si possible, autant qu’il dépend de vous, sans vous faire justice à vous-mêmes, mes bien-aimés, laissez agir la colère ; car il est écrit : C’est moi qui ferai justice, moi qui rétribuerai, dit le Seigneur. Bien plutôt, si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire ; ce faisant, tu amasseras des charbons ardents sur sa tête. Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien.
(Bible de Jérusalem, Rm, 12 : 14-21)

C’est après avoir lu l’Ancien Testament d’un bout à l’autre, que l’on se rend véritablement compte du caractère novateur du message christique : il s’agit là d’une inversion des valeurs qui est proprement révolutionnaire.

3) Le Nouveau Testament est une ouverture à l’humanité
L’Ancien Testament glorifiait les rois ; quand l’un d’entre eux avait bien agi, c’est-à-dire conformément aux décrets de Yahvé, sa récompense, le plus souvent, était d’être couvert de richesses (voir par exemple 1 R, 3 ; 4-14).
Le message christique, au contraire, se veut universaliste : Jésus cherche d’abord à rallier les pécheurs.

Après cela il sortit, remarqua un publicain du nom de Lévi assis au bureau de la douane, et il lui dit : « Suis-moi. » Et, quittant tout et se levant, il le suivait.
Lévi lui fit un grand festin dans sa maison, et il y avait une foule nombreuse de publicains et d’autres gens qui se trouvaient à table avec eux. Les Pharisiens et leurs scribes murmuraient et disaient à ses disciples : « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ? » Et, prenant la parole, Jésus leur dit : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades ; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir. »
(Bible de Jérusalem, Lc, 5 : 27-32)

Les femmes adultères (« Que celui qui n’a jamais péché… »), les prostituées, les voleurs sont les personnages habituels du Nouveau Testament : ils ont remplacé les patriarches, les grands prophètes, et les rois nomades. Les riches, les puissants, les importants, le Fils de l’Homme les dédaigne, les considérant comme sans rapport avec la foi. Il établit ainsi une séparation nouvelle entre les choses spirituelles et temporelles : et c’est bien là l’apport immense de cette seconde partie de la Bible.

Par ce mot : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, » il a créé quelque chose d’étranger à la politique, un refuge pour les âmes au milieu de l’empire de la force brutale. Assurément, une telle doctrine avait ses dangers. Établir en principe que le signe pour reconnaître le pouvoir légitime est de regarder la monnaie, proclamer que l’homme parfait paye l’impôt par dédain et sans discuter, c’était détruire la république à la façon ancienne et favoriser toutes les tyrannies. Le christianisme, en ce sens, a beaucoup contribué à affaiblir le sentiment des devoirs du citoyen et à livrer le monde au pouvoir absolu des faits accomplis. Mais, en constituant une immense association libre, qui, durant trois cents ans, sut se passer de politique, le christianisme compensa amplement le tort qu’il a fait aux vertus civiles. Grâce à lui, le pouvoir de l’État a été borné aux choses de la terre ; l’esprit a été affranchi, ou du moins le faisceau terrible de l’omnipotence romaine a été brisé pour jamais.
(Vie de Jésus, E. Renan)

La Bible est une somme : de la Création jusqu’à la Révélation, elle est grosse de poésie et de morale, d’épique et de passion, d’amour et de haine, de cadavres et de résurrections. Elle fourmille de sages paroles, de contes enchanteurs, et d’événements prodigieux.
Elle mérite, dix, cent, et mille fois, d’être lue et relue avec passion.

 

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